Sur l’implacable mécanique qui entretient l’économie capitaliste depuis toujours, les Américains suggèrent une règle pour les grandes entreprises multinationales : TOO BIG TO FAIL. En clair : il est utile, voire nécessaire de faire grandir les entreprises jusqu’à ce qu’elles deviennent assez grosses et puissantes pour ne plus JAMAIS tomber. C’est cette règle notamment qui guide les fusions et acquisitions sur les marchés boursiers, où par exemple MOSANTO, numéro un mondial de la chimie finit par avaler BAYER, numéro trois mondial, pour former une entité à taille totalement inhumaine. Ou encore FCA le fabricant de voitures d’origine italienne fusionner récemment avec PEUGEOT.
Détournons la métaphore pour spéculer sur le sort (malheureux) de l’une des trois marques camerounaises, authentiquement camerounaises, les plus connues et jadis les plus dynamiques à l’export sur les vingt dernières années de capitalisme camerounais, à savoir Express Union. Il n’y a pas si longtemps, presque 6 000 salariés, dans 26 pays. Une incontestable sucess story à capitaux et technologie 100% camerounais.
Une entreprise qui, depuis, connaît cependant la décrue que tout le monde sait. En cause : le succès sans fin de OM et MoMo auprès des Camerounais de tout poil.
Que nous apprend donc, sur le plan analytique, la descente aux enfers de EU ? Tout simplement que le capitalisme mondialisé (espace dans lequel jouait en réalité ce flagship camerounais), ne s’accommode pas des petites dimensions. Ici plus qu’ailleurs, c’est bel et bien… LA TAILLE QUI COMPTE ! En clair, plus on est gros, mieux on s’en sort ; plus on est gros, mieux on est respecté ; plus on est gros, meilleures sont ses performances et plus grandes sont donc, in fine, ses chances de prospérité et de survie.
Tout cela, à cause d’une règle qui est celle des économies d’échelle : plus on est gros, plus on a la capacité de répartir ses coûts fixes sur une plus grande quantité d’unités, et plus on peut prélever son bénéfice à unité infinitésimale sur des cadences plus fortes. Face à OM et MoMo, qui peuvent adosser une grande partie de leurs coûts de structure sur la force de leur infrastructure technique et opérationnelle, le combat est donc inégal et forcément perdu à l’avance par EU qui peut s’appuyer sur rien de pareil. Les deux opérateurs internationaux bénéficiant par ailleurs des effets de réseaux et de plateforme qui amènent les consommateurs à s’indexer sur des services déjà porteurs à leurs yeux de valeur et agréger des effets de volume et de cumul des avantages.
Le combat entre ces deux groupes est donc si inégal que, personnellement et depuis TOUJOURS, je fais partie de ceux qui ne comprennent pas que l’Etat ait pu laisser s’installer une telle distorsion de la concurrence en défaveur d’un opérateur local, pourtant de qualité. On a évidemment reproché à EU des tas de choses quelques fois justifiées, dont celles d’avoir, lui aussi, longtemps bénéficié de cette position de rente. Mais cela ne justifie pas, à mes yeux en tout cas que, l’Etat qui est censé garantir la concurrence dans la structure même d’une activité, installe une perversité qui, in fine, pénalise l’entrepreneuriat local, le capitalisme local et la chance unique que l’on peut avoir de voir émerger une grande marque camerounaise, capable de rivaliser, demain, avec de grands groupes mondiaux (comme ce fut le cas avec Afriland).
Le capitalisme se joue pourtant aussi sur cette dimension de l’Etat stratège qui consiste à générer et favoriser de grands groupes locaux, qui se positionnent vaillamment à l’export et qui, dans leur stratégie et aptitudes d’expansion, rapatrient vers le pays des précieuses devises dont il a besoin, sans parler du soft power et du national branding que rapporte sa des bénéfices illimités, un tel déploiement.
Reste que des espaces de repli tactique existent pour EU. J’en serais le DG que j’effectuerais un rapprochement spécifique avec l’un des opérateurs de téléphonie n’opérant pas encore de services de transferts d’argent (NEXTTEL, CAMTEM) et je verrais comment, avec lui, développer une approche ad hoc, portée sur une marque nouvelle.
Pour faire national branding, CAMTEL serait pour cela, le meilleur. Mais pour rapidement faire taille de marché critique, ce serait plutôt NEXTTEL. Chacun de ces choix présente un lot d’avantages et d’inconvénients. Mais là n’est pas la question, puisque le leadership consiste aussi, en gros, à assumer ses choix c’est à dire, à faire corps avec leurs défauts. Dans tous les cas, le sort de EU est quelque chose qui est très loin de me laisser indifférent, défenseur que je suis d’un patriotisme économique non pas destiné à la haine des autres, mais bien à l’exploration des qualités et capacités que nous avons de figurer au coeur des dynamiques mondiales où peuples et nations se font respecter.
Serge Alain Godong