Le président de la République a signé le 30 août 2023 la lettre circulaire N°001 (oups ! la première fois que le monsieur travaille depuis le début de l’année) relative à la préparation du budget 2024. Il place cette préparation sous le signe d’un budget d’impact socio-économique (point 4). L’on change donc de paradigme en allant de l’analyse coût-efficacité/utilité à l’analyse d’impact budgétaire (AIB). De quoi s’agit-il ? Est-ce le vrai problème ?
Renforcement de la politique de l’austérité
C’est la suite logique du programme avec le FMI et de la dégradation de la notation du Cameroun sur le marché international. Le pays n’est pas passé en défaut de paiement parce qu’on lui donnait encore cette chance : celle d’accepter de renforcer l’austérité. L’AIB signifie que l’on ne va plus implémenter un projet en fonction de son utilité, mais que l’on le fera plutôt en fonction de son incidence budgétaire. Le but étant d’appliquer la discipline budgétaire nécessaire au remboursement de la dette. Sauf qu’au-delà des mots, le problème de fond demeure. Au même point 4, le Président énonce six chantiers non maturés supposés déjà financés par le passé qui seront encore des gouffres à sous en 2024. Lorsqu’on vous parle de la « mise en service des grands projets de première et de deuxième génération », on se rappelle que cette affaire dure depuis 2011 sans bilan. Une politique responsable permettrait plutôt de s’assurer sur une période donnée (un an en occurrence) que le budget engendre un impact social visible. Il s’agirait dans la méthodologie, d’être capable de comparer la situation avant (2023) et la situation après (2024) pour montrer que l’action a eu un impact positif. Dans un contexte marqué par une augmentation continue de l’inflation (depuis au moins 30 ans), il aurait été prioritaire de mettre fin à la saignée et de cibler le pouvoir d’achat des Camerounais. En un an, il est bien possible de soulager la consommation par des mesures budgétaires, ce qui n’est pas possible de faire en ciblant les grands chantiers budgétivores. En effet, il est inutile d’investir dans des chantiers alors que l’on n’atteint pas le seuil de rentabilité. Dans le langage de la comptabilité, ces chantiers demeurent des passifs ou mieux, des gouffres à sous.
Mauvaise politique de croissance
A ce sujet, il faut critiquer la politique de croissante équilibrée du Cameroun. Pour faire simple, il s’agit de la propension à vouloir investir dans tous les secteurs d’activité à la fois alors que le pays n’a pas les moyens financiers suffisants et les moyens de coordination efficaces. Le Président de la République est aujourd’hui incapable de surveiller tous les chantiers lancés. Par conséquent, il crée des usines à gaz, des éléphants blancs et des vaches à lait pour engraisser son réseau de clientèle. Il faudrait plutôt appliquer la politique de croissance déséquilibrée qui suppose de concentrer son peu de moyens sur un secteur-clé qui permettrait de tirer les autres secteurs comme cette locomotive qui tire les wagons. Par exemple, la Côte d’Ivoire s’est d’abord concentrée sur le cacao qui lui permet de tirer les autres secteurs. L’Ethiopie s’est concentré sur le textile et vient de faire son entrée dans le cercle des pays émergents des BRICS alors qu’il y a une trentaine d’années, il s’agissait d’un pays affamé qui recevait nos pièces jaunes. On ne peut pas tout faire à la fois. C’est pour cela que l’orientation économique du gouvernement camerounais reste mauvaise et sans impact social.
Absence de planification
Sur le plan macro-économique, je suis en désaccord avec le gouvernement qui justifie sans cesse notre désastre économique par des facteurs exogènes. Non ! Le recul économique observé au Cameroun dure depuis 1987 date à laquelle le régime Biya a mis fin à la planification de notre développement. Elle n’est donc liée ni au Covid-19, ni à la crise russo-ukrainienne, ni au changement climatique. C’est encore une fuite de responsabilité. Il n’y a pas d’économie sans planification. Et puis, l’on ne peut pas aller dans l’environnement international chercher uniquement des menaces. Le Président de la République ne nous dit jamais quelles sont les opportunités que son régime a su saisir au courant de l’année pour accélérer l’application de son programme. Il ne nous dit jamais quel bénéfice le pays a pu tirer de la conjoncture internationale. Par exemple, l’augmentation du prix du baril de pétrole. Cela signifie qu’il navigue à vue ! Par sa lettre circulaire, il change de cap chaque année, comme une girouette qui tourne au gré des bailleurs de fonds. Toujours en train de vouloir trouver une justification à la médiocrité de ses résultats économiques. L’argument habituel du gouvernement allant dans le sens de ce que le recul économique observé au Cameroun est « comme dans la plupart des pays du monde » ne tient pas dans la mesure où d’autres pays implémentent un programme de réformes structurelles dont les résultats sont visibles sur la qualité de vie de leurs citoyens. Et puis, nous ne pouvons pas nous contenter de dire que nous sommes bien puisque ça va aussi mal chez les voisins. Il convient plutôt de voir que nous n’avons pas été capables d’inventer des solutions innovantes et endogènes dans un contexte où nous avons des ressources abondantes qui ne demandent qu’à être exploitées. Vous ne pouvez pas mourir de soif au bord de l’eau et expliquer que la situation n’est pas grave puisque ça va mal au désert.
L’extraversion de l’économie
Nous sommes impactés par la conjoncture internationale parce que nous dépendons de l’étranger pour notre consommation interne (économie extravertie). Notre capacité d’innovation pour produire localement est presque nulle. Il faut donc financer l’innovation en 2024. Le bon sens aurait voulu que le Président de la République se concentre sur cette question pour impulser plus que jamais la production locale. Sa lettre circulaire ne prévoit rien pour la politique de l’import-substitution pourtant énumérée dans les objectifs. Or, cela permettrait d’impacter directement le pouvoir d’achat (création locale des richesses et consommation du made in Cameroon). Quel intérêt le Président a-t-il à jouer au dilatoire chaque année alors qu’il dispose des cartes entre main ? Par exemple en cette période de rentrée scolaire, le Président de la République aurait pu réguler le marché des manuels scolaires pour soulager la charge des parents. Le pays absorbe environ 90 millions de livres (sans compter les cahiers) que l’on imprime entièrement à l’étranger. C’est environ FCFA 300 milliards qui s’évadent chaque année au lieu de rester au pays pour créer localement la richesse et soulager la consommation. Les éditeurs capitalistes vont imprimer à moindre coût à l’étranger et reviennent étrangler les parents sous le regard passif et complice de l’Etat.
De même, les grands chantiers annoncés par le chef de l’Etat ne servent à rien à l’économie nationale si l’on importe même le béton de l’étranger comme ce fût le cas pour le stade d’Olembé. Une politique budgétaire de bon sens donnerait aux entrepreneurs locaux ces facilités qu’ils vont chercher à l’étranger. Dans sa lettre, le Président ordonne plutôt l’augmentation verticale de l’assiette fiscale (à travers la création de nouveaux impôts) alors que l’action inverse (réduction des impôts) permettrait l’augmentation de l’assiette fiscale sur le plan horizontal (augmentation du nombre des contribuables). L’on ne peut pas parler de l’amélioration du climat des affaires en mettant en œuvre la surtaxation du peu de contribuables qui ont le courage de rester dans le circuit formel. C’est la cause principale de l’explosion du secteur informel, secteur de refuge fiscal.
Cette politique fiscale fait du Cameroun un éternel comptoir commercial. Comme à l’époque de la traite négrière, les citoyens doivent se contenter d’être des ouvriers dans leur propre pays avec des salaires de misérables. Des salaires qui n’ont pas toujours atteint en 2023 le niveau où ils étaient déjà en 1993 avant la diminution à près de 70%. Le bon sens aurait voulu que l’augmentation du pouvoir d’achat soit la justification de toute action économique au Cameroun de nos jours.
Dans un pays normal où existe une société civile et politique active, on pousserait le Président de la République à rapporter sa lettre circulaire pour l’orienter vers l’augmentation du pouvoir d’achat. En attendant, et comme je le dis toujours, il est temps pour que les citoyens se réveillent et prennent leurs responsabilités, chacun à son niveau. Le laisser-faire politique est la maladie de ce pays. Le bateau continue de couler sous nos yeux ; la vie devient de plus en plus chère ; et bientôt, nous serons toutes et tous immergés. C’est bien de fuir à l’étranger pour se mettre à l’abri mais, Dieu ne nous a pas créé au Cameroun pour que nous fuyons nos responsabilités.
Le pouvoir, c’est nous !
Louis-Marie Kakdeu, HDR, PhD & MPA
Membre du Shadow Cabinet SDF
Economie, Finances & Commerce.