Sa voix porte. Ses idées accrochent. Le regard de Célestin Monga (photo) sur l’économie nationale se résume en un constat. « Cameroun : le mouvement immobile ». Entre les lignes donc, apparait un pays où tout bouge sur le plan économique. Mais le statuquo est palpable, mesurable, quantifiable, déroutant. La Chine, rappelle-t-il, en 1980, avait un revenu par habitant de 174 $. Le Cameroun était envié des chinois. Tout comme d’autres pays, à l’instar du Vietnam.
Des décennies plus tard, les endroits jadis moqués en Chine et pointés du doigt comme le pré carré de la précarité sont devenus d’excellents endroits touristiques où gigantesques immeubles, paysages verdoyants, routes, autoroutes donnent du tonus à l’économie. A contrario, le boulevard Kennedy à Yaoundé en 1950 était plus aéré, avec quelques véhicules de l’ancienne époque. L’endroit a aussi évolué à sa manière. Mais du haut vers le bas. Des commerçants s’y bousculent comme ils peuvent, sous des parapluies vieillis. Zéro immeuble, zéro route digne d’un pays à la dimension du Cameroun. Ce qui était dans la gadoue en 1950 l’est encore aujourd’hui. Le pays est en peine, dépendant de l’extérieur.
Pour l’économiste Célestin Monga, il s’agit là de la conséquence de quatre facteurs clés, qui n’ont de cesse de tirer le pays vers le bas. En tête, « le déficit de l’amour propre ». De nombreux camerounais/les dirigeants se sous estiment dans leur management public. L’on agit, en espérant que l’appréciation, la gratification, la reconnaissance, l’approbation, les félicitations viendront de l’extérieur pour saluer ce qui est fait pour le peuple. « J’avais un ami, un allemand –avec lequel j’ai rompu l’amitié après qu’il m’a dit ce qu’il m’avait dit- qui estimait que les allemands sont efficaces en tout, qu’ils sont au-dessus de tous. Le même sentiment, je l’ai vu chez les américains. Pour eux, ils sont des meilleurs en tout et sont au-dessus de tous. J’ai vu le même sentiment en Chine. Pour le chinois, son pays est au-dessus de tout. Chez nous, l’on attend que les autres viennent apprécier ce que nous faisons. »
Le second déficit, se désole l’économiste professeur de Politiques publiques à l’université de Harvard (Kennedy Scholl of Government) aux USA, est le déficit du « savoirs et connaissances ». Ici, se dégage une nuance. Le pays ne manque pas de têtes bien formées. Au contraire. Seulement, faute d’usage, elles s’expatrient et font la fierté d’autres nations. Pourtant, suggère-t-il, s’il est difficile d’utiliser ces intellectuels, il est possible de copier ce qui se fait ailleurs, imiter les champions. Un système qui a permis à l’Irlande de se démarquer sur le marché de l’emploi, tout comme la Chine envoyait ses compatriotes à l’étranger s’inspirer de bonnes idées.
Le troisième déficit porte sur le manque de « résolution de conflits ». Trop de temps est laissé aux conflits, jusqu’à ce qu’ils deviennent incontrôlables. En quatrième lieu, le déficit de « leadership ». Célestin Monga souligne que la croissance, la performance économique sont liées au management du leader. « La corruption n’est pas un problème. Je ne dis aucunement pas qu’elle est bonne, je ne l’encourage pas. Mais elle est présente même dans les pays développés », précise-t-il.
Nouveau paradigme
La quatrième édition du débat patronal du Gicam le 14 octobre a permis aux économistes intervenants d’émettre leurs avis sur la conduite à tenir pour transformer l’économie camerounaise, saisir ses opportunités pour un développement tant humain qu’infrastructurel. Célestin Monga – le keynote speaker de la soirée- suggère d’éradiquer, sinon réduire l’irrationnel en nous, changer nos normes sociales et mentalités : « pourquoi il est aisé de trouver de la bière dans l’arrière pays et pas de l’eau potable ? » Questionne-t-il. Et d’ajouter l’exploitation au maximum de tous les talents locaux et ce, dans tous les domaines : culturel, sportif, académique, etc. Eric Njong oriente à la prise en compte de l’industrie, de l’agro industrie pour se positionner avec vigueur en ces temps de zone de libre échange continentale.
Dieudonné Essomba pense « qu’il faut bien définir le sentier visant à transformer l’économie camerounaise. Ce qui se passe à travers des mesures idoines. Le problème chez nous est que nous n’avons qu’un seul levier : la politique budgétaire. Or il faut absolument ajouter deux autres leviers à savoir une politique monétaire et une politique commerciale. En l’absence de ces deux politiques, c’est impossible de modifier qualitativement les choses. C’est pour ça que j’ai toujours proposé la mise en place d’un second pouvoir d’achat que j’appelle monnaie binaire qui redonnera au Cameroun ces deux leviers. Évidemment les autres mesures sont importantes : les mesures de gouvernance, de financement et autres. »
Un partage de connaissances qui satisfait Célestin Tawamba, le président du Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam), les capitaines d’industrie, des gestionnaires publics etc. Le thème de la quatrième édition du débat patronal portait sur ‘’ Transformer l’économie camerounaise, défis, opportunités et stratégies.’’
Aloys Onana