La dure leçon de la Corée du Sud à l’Afrique noire *
Au début des années 60, ce pays était d’une pauvreté répugnante. Grâce au travail et à la rigueur, au système éducatif, la donne a changé.*
Les mouvements de migrations et la prise en compte de la question de l’environnement remettent au goût du jour les grands débats sur les modèles de développement du type de ceux qui agitèrent tant les années 1960 ou 1970. La plupart furent des échecs : l’Afrique ne s’en sort pas, la malédiction des matières premières « l’a tué ». Les plus riches seront les derniers, les derniers seront les premiers. La Corée du Sud se révèle la preuve éclatante de cette vérité évangélique.
En 1960, le petit pays, fort uniquement de ses montagnes et de ses sous-sols stériles, sortait essoré de dizaines d’années de domination japonaise et de trois ans d’une guerre meurtrière avec le Nord, des millions de morts et de disparus. Résultat, la Corée du Sud figurait parmi les pays les plus pauvres du monde, en 1955, avec un PIB par habitant de 64 dollars – ceux-ci étaient encore moins bien nantis que leurs cousins du Nord. « On exportait des perruques, les Coréens étaient tellement pauvres qu’ils devaient vendre leurs cheveux », dira plus tard un dirigeant de Samsung. Mais Séoul a tué le match. Son score frôle aujourd’hui les 30.000 dollars de PIB par personne, quand, avec 1.800 dollars par habitant, Pyongyang affiche un bilan aussi catastrophique que honteux. « Séoul les boules », râlaient les équipages des avions obligés de faire escale au pays du Matin trop calme. Même cela, c’est fini. Séoul est devenu branché, la K-pop donne le « la » à la jeunesse du monde entier, la K-beauty devient l’arbitre des élégances. Les empires occidentaux de l’onguent et du soin prennent ces nouveaux arrivants très au sérieux. Question beauté, les Coréennes ont en effet quelques siècles d’expérience à faire valoir, celle qu’elles ont accumulée en passant des heures devant leur miroir chaque matin à établir la meilleure « routine » propre à leur donner la peau la plus douce et la plus claire.
Résultat, leurs moindres manies font l’objet de milliers de pages d’études marketing… Celles-ci ont déterminé que, entre matin et soir, les Coréennes accomplissent en moyenne onze « gestes » de beauté. Elles sont folles de leur peau comme les Brésiliennes le sont de leurs cheveux (…) Elles ne se contentent pas non plus de faire appel aux lotions étrangères. Ce sont des firmes locales qui sont à l’origine du succès mondial de la BB crème, un succès aussi fulgurant que celui de la « double pâte des sultanes » de César Birotteau. Désormais, aucun fabricant de cosmétiques ne peut se permettre de ne pas avoir de « blemish balm » à proposer à ses clients. Son héraut, le groupe Amorepacific, repreneur d’Annick Goutal, est en train de devenir le L’Oréal coréen. Et comme la Corée est aussi une championne mondiale de l’électronique, elle devrait également tracer sa route dans tout ce qui est « e-beauté ». Bref, la beauté se lève à l’Est et l’Ouest en prend conscience. D’autant que ses habitants sont les plus connectés du monde.
Voilà donc la Corée dans le camp des pays développés, membre du G20. Et pourtant, sa croissance est encore celle d’un pays émergent. Même si elle a un peu ralenti, la machine continue à progresser à un rythme de 3 %. Ce « miracle sur le fleuve Han », que l’on compare parfois au « miracle rhénan », viendrait de la conjonction de trois éléments vertueux – même si le mot « vertueux » ne s’appliquera pas toujours à ses dirigeants. L’Etat autoritaire a fixé des objectifs ambitieux, voire visionnaires, sur les places à prendre dans les industries lourdes, puis les technologies. Des grands groupes dynamiques, les chaebols, les ont appliqués. A partir de rien, Posco a bâti une sidérurgie hors pair, on ne présente plus Samsung. Lotte fabriquait des bonbons, il est devenu un géant de l’hôtellerie, du divertissement et du reste. Le troisième point de ce trio gagnant est essentiel : « Il s’appuie sur les efforts, pour ne pas dire le dévouement, d’une population qui donne au travail et à l’éducation une place qui ne connaît guère d’équivalent dans les pays développés », insiste un rapport du Sénat. Une motivation d’airain.
En 1993, le patron de Samsung s’énerve en constatant qu’il ne rattrape pas ses pairs occidentaux et harangue ses employés. « Changez tout, sauf vos femmes et vos enfants », leur dit-il en substance. Déjà, en 1987, les élèves du primaire dans leurs uniformes impeccables étudiaient dans des salles de classe un ordinateur installé sur chacune de leurs petites tables. C’était très mignon, et se révéla aussi terriblement efficace. Les élèves coréens survolent aujourd’hui haut la main tous les classements Pisa.
Quant à la force de travail, n’en parlons pas. Le chômage est quasi nul, et c’est tout récemment que la semaine de travail maximale est passée de 68 à 52 heures ! Cet élan national a conduit le pays, quand son frère jumeau s’enfonçait dans la folie, à franchir, avec effort mais sans difficultés, toutes les étapes d’un développement moderne. La Corée est deuxième de l’OCDE pour ses dépenses de recherche par rapport au PIB. La voilà qui, avec son poids dans les jeux vidéo, l’e-sport, la K-pop, s’invite dans le peloton de tête du « soft power ». D’après la Banque mondiale, la Corée du Sud fera partie en 2025 des six pays qui fourniront plus de la moitié de la croissance mondiale. Ainsi, la « crevette entre deux baleines », telle que l’on surnommait la petite Corée coincée entre la Chine et le Japon, est devenue un gros poisson. Personne n’aura connu de changement aussi rapide, aussi profond. A tout cela, il y a un gros hic. Cette population travailleuse est stressée, n’a plus le temps de se reproduire. Son taux de natalité est le plus faible de l’OCDE. En 2040, les plus de 60 ans représenteront 37 % de sa population. Un « K » d’école.
Source : Les Echos
*Ajouts de la rédaction EDC (Economie du Cameroun)