Consultant notamment en Afrique, l’ancien directeur général du Fonds monétaire international estime que l’Europe n’est plus le centre du monde. Interview.
Vous êtes familier du continent africain, où vous conseillez des chefs d’Etat. La fin du FCFA est-elle une bonne nouvelle ?
Oui, le système ne pouvait plus durer, en raison des symboles dont il était
lesté. Les références au passé colonial [NDLR : avant 1958, l’acronyme CFA
signifiait Colonies françaises d’Afrique], les obligations de placer les
réserves à la Banque de France, la présence de Français dans les instances
monétaires africaines.
Pourquoi la décision n’a-t-elle pas été prise lors du passage à l’euro, quand vous étiez ministre des Finances ?
Lionel Jospin a été nommé en 1997, six mois avant le passage à l’euro. Lorsque
je me suis retrouvé à Bruxelles, la question du franc CFA n’avait jamais été
abordée. Nos partenaires européens sont tombés de l’armoire et il a fallu
batailler pour qu’ils acceptent quelque chose de bizarre, à savoir qu’une
monnaie extérieure soit rattachée à l’euro, avec un lien avec le Trésor
français. Mettre fin au CFA à ce moment-là aurait créé un deuxième problème. Il
aurait fallu prendre cette décision bien plus tôt ou bien plus tard.
Pourquoi attendre plus de vingt ans ?
D’un côté, la France avait une position d’attente, sur le thème “nous sommes
ouverts”. De l’autre, les Africains, qui sont bénéficiaires d’une garantie
monétaire de la France, pouvaient difficilement agir seuls. Une démarche
unilatérale de leur part pouvait être perçue par les marchés comme un facteur
d’instabilité sur la valeur de la monnaie. Le risque d’ouvrir une brèche à la
spéculation était réel. Il ne l’est plus, car les Français et les Africains ont
bougé en même temps, et Paris continue d’assurer la garantie monétaire de la
zone. La souveraineté monétaire des Africains est totale
N’est-ce pas une autre forme de tutelle ?
Cela n’a rien à voir. Le compte d’opération libellé en francs CFA a été fermé.
Le dernier cordon ombilical a été coupé. C’est un vestige du passé qui ne se
justifiait plus. La souveraineté monétaire des Africains est totale. A eux de
déterminer l’ancrage de nouvelles modalités. A eux de développer les échanges
autour de cette monnaie unique et de créer un espace d’intégration que le CFA
n’a pas été capable de faire. A eux d’intégrer, s’ils le souhaitent, d’autres
pays, comme le Ghana, la deuxième puissance économique de l’Afrique de l’Ouest
enclavée dans la zone eco [NDLR : nom de la nouvelle monnaie].
Vous voyagez dans le monde entier. Avec la guerre commerciale ente les Etats-Unis et la Chine ; les tensions avec l’Iran, la croissance en berne en Europe, qu’en disent vos interlocuteurs ?
En Afrique, la croissance reste relativement significative. Pour de nombreux
pays, l’un des problèmes importants est le prix du pétrole et, aujourd’hui,
l’impact que les relations entre les Etats-Unis et l’Iran pourraient avoir sur
celui-ci. La situation en Asie est assez différente. Autant ils sont préoccupés
par les tensions avec la Chine, autant les difficultés économiques des
Européens leur paraissent assez secondaires. L’Europe est pour eux un client
important, mais ce n’est pas le centre du monde. Ils sont plus préoccupés par
la situation au Moyen-Orient ou par l’accès aux matières premières. Je voyage
aussi en Asie centrale, dans des pays dont on parle peu aujourd’hui, mais qui
sont passionnants et porteurs de beaucoup de potentiel dans les années à venir.
La politique unilatérale de Donald Trump fragilise les institutions internationales de l’après-guerre. Comment le FMI, que vous avez dirigé entre 2007 et 2011, peut-il survivre dans cette crise ?
Le multilatéralisme est évidemment en crise, notamment parce que les Etats-Unis
y sont plus hostiles que jamais. Pourtant le rôle des institutions
internationales est d’autant plus nécessaire que le monde va mal. C’est à
elles, et notamment au FMI, d’imposer leur présence par la pertinence de leurs
analyses et l’efficacité de leur action sur le terrain.
Source : Paris Match, du 11 janvier 2020