Home » Dr Jean Marie Biada : « Il y a certaines décisions à prendre que l’ADG ou le Directeur général ne peut pas prendre seul, il envoie à sa tutelle directe, c’est le PCA»

Dr Jean Marie Biada : « Il y a certaines décisions à prendre que l’ADG ou le Directeur général ne peut pas prendre seul, il envoie à sa tutelle directe, c’est le PCA»

by EDC
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Parole est donnée à un expert qui cerne bien l’univers des entreprises et du secteur pétrolier.  Pour notre invité,  faire des enlèvements, c’est-à-dire des embarquements des produits pétroliers- pendant 60 mois par exemple à l’insu du Directeur général, voire du Président du conseil d’administration (PCA) est une équation à mille inconnues. Dr Jean Marie Biada est un économiste expert certifié ONUDI en diagnostic et mise à niveau des entreprises.

Est-il possible de vendre du pétrole brut à un coût inférieur pendant 10 ans sans que le Directeur général, le président du conseil d’administration (PCA), tout le top management ne soient au courant?  

Le peu que j’ai pu voir dans le secteur pétrolier aval, lorsque vous avez un directeur commercial – c’est vrai qu’on lui donne souvent beaucoup de pouvoir – mais ce que j’ai vu une fois,  c’est que, on a eu à auditer, et on a eu constaté qu’il y a avait des factures qui étaient doublement payées. Il y a une complicité qui peut échapper au directeur général. Je prends un exemple. On vous dit, nous faisons tel produit ou tel autre, voici le troisième produit qu’il faut ajouter dessus. On dit au DG, par rapport au produit que vous demandez qu’on vende à tel prix, tout le monde l’a déjà vendu à tel prix, mais il y a quelqu’un qui dit pouvoir nous aider, puisque nous avons insisté, il a demandé de payer avant. On paie par exemple 4 milliards de FCFA avant que et la cargaison ne soit livrée. Mais comme le DG sait que généralement on paie et le produit est livré en 90 jours- puisque c’est adossé sur les instruments de financement international (la SNBC, la LC), il n’y a pas de soucis particuliers. C’est des gens qui ne viennent pas faire des opérations spot.

On fait une opération comme celle-là et on laisse passer même 9 mois et on dit au DG, il faut qu’on paie encore tel, il signe, il y a double paiement. Mais ce n’est pas un cas général. C’est quelque chose que nous avons vu, cela avait échappé à la vigilance du DG.  Mais dire qu’on va le faire systématiquement pendant 2, 3, voire 4 de ce que nous appelons les enlèvements, donc faire 60 enlèvements, cela veut dire 5 ans (c’est un enlèvement par mois), non, ce n’est pas courant. Le DG, même s’il n’est pas vigilant, à un moment le système se coince. Les montants qu’on est entrain d’évoquer là-dedans (pour le cas de l’affaire Glencore, Ndlr), ce n’est pas des montant costauds. Parler de 7 milliards pendant dix ans, c’est très faible, c’est peu.

Le FMI a produit un rapport à ce sujet en décembre 2023 et parle de 30 milliards de FCFA de pertes dans ce dossier…

Même 30 milliards, c’est insuffisant. Partir de 7 pour 30 milliards de FCFA ; on a multiplié à peine par 4, ça fait 28 milliards. Dans cet univers, on paie par baril. Si on dit par exemple qu’on va enlever un million de barils (pour le cas du Cameroun, c’est 2 millions 300 mille barils l’année), donc si on a 2 millions 300 mille tonnes à l’année, et si on paie 5 dollars par baril, c’est énorme. Je me demande, ces gens sont donc venus corrompre pourquoi ? J’ai été invité sur des plateaux de télévision, je n’ai pas pu relayer cela. C’est-à-dire quelqu’un arrive, on vend sur le marché international à 100 dollars par exemple et lui ici achète à 30 dollars… Non ! Quand les contrats sont déjà assez costauds. Pour engager l’entreprise, ce n’est pas le directeur commercial. C’est vraiment la voix la plus autorisée. C’est le directeur général. C’est lui qui engage l’entreprise.

C’est lui qui dirige l’entreprise au quotidien…

Tout à fait. Mais dans le domaine du commodity,  j’ai aussi vu quelque chose. Quand les gars veulent battre campagne pour trouver les gens qui vont leur permettre de vendre leur sucre, leur sel, leur blé par exemple, ils laissent que tout le monde signe : le directeur commercial, le directeur de la production, le directeur des ventes. Mais à la fin lorsqu’il va falloir faire des choses de telle sorte que chacun puisse s’en sortir, là, c’est le haut niveau de l’entreprise qui agit. On doit avoir le nom et le cachet du MD (Managing Director or CEO, Chief executif officer).

Et dans ce cas, quel peut être le degré d’implication, voire, d’inculpation du P.C.A ?

Le Président du conseil d’administration ne gère pas l’entreprise au quotidien.  Il ne se mêle pas de la gestion. Là je parle des entreprises au sens général, qui relèvent du droit commun ou bien du droit comptable OHADA, droit des sociétés commerciales, regroupement d’intérêt économique. Or je dois aussi dire que dans nos grandes entreprises, les entreprises d’Etat, il y a des choses qui se passent. J’ai vu des choses qui dérogent totalement aux dispositions théoriques ou normatives qui doivent  prévaloir. Je prends un exemple vu. Le budget était monté, un marché de un milliard par ci, un autre de 2 milliards par-là, etc. quand vous vous retrouvez au niveau de la passation de ces marchés, on vous dit,  ne perdez pas trop de temps dessus, comme pour vous dire ce n’est pas au hasard que ces marchés sont là, les gens qui vont les gagner sont déjà connus.

J’ai vu un PCA qui menaçait parce qu’il voyait comment le DG mangeait. On l’a embarqué aussi, on lui a donné de faux marchés. Quand je le dis c’est de façon formelle, c’est-à-dire au niveau de la forme. A l’époque les PCA ne se mêlaient pas de la gestion de l’entreprise. Mais j’en ai connu où le PCA a son bureau. Il vient chaque matin : il a une secrétaire, il a un directeur, un chef de cabinet, il a 4 à 5 personnes dans son cabinet avec un pan de la maison où il est présent chaque matin.

L’Etat, avec la réforme de 2018, a donné beaucoup de poids au conseil d’administration. Je prends l’exemple de la CNPS, le code des marchés publics ne s’applique pas à la CNPS. Il y a une loi promulguée par le chef de l’Etat portant organisation des marchés publics concernant les établissements publics et les sociétés publics, les entreprises du secteur publics et parapublics et là, on a donné du poids au DG. Il y a ces entreprises où le DG ne pouvait pas signer un marché de 5 millions. Aujourd’hui le conseil d’administration lui a donné de signer les bons de commandes à 15 millions. Or le code des marchés dit qu’un bon de commande est strictement inférieur à 5 millions, c’est-à-dire 4 millions 999,999FCFA. Voilà ce que ça dit. Or, dans ces entreprises le conseil d’administration a déjà un gros poids, le président s’arrange aussi à bouffer par fois le conseil parce que quand les gens quand les gens disent conseil, ils voient directement le PCA. Non. Ses pouvoirs sont bien circonscrits. Ses pouvoirs ne sont pas illimités. Ses attributions sont limitativement indiquées dans le document en question. Le décret de 2018 régissant les marchés des entreprises  du secteur public et parapublic est clair à ce sujet.

Pour le cas de la SNH, il est donc possible que le PCA et le DG aient été au courant de la sous-évaluation des prix ou pas ?

Quand un contrat est déjà assez important, le PCA doit être au courant. De mon point de vue. Davantage parce que, en fait il y a certaines décisions à prendre que l’ADG ou le Directeur général ne peut pas prendre seul, il envoie à sa tutelle directe, c’est le PCA, ce n’est pas quelqu’un d’autre. Le PCA lui aussi est là pour informer le chef de l’Etat, il va donc présenter le problème au chef de l’Etat. Nous avons suivi Jean Marie Atangana Mebara dans son livre : Le secrétaire général de la présidence de la République entre textes, mythes la réalité. Il dit que pour aller présider le conseil, il obtenait l’aval du chef de l’Etat. Je crois que c’est par pudeur qu’il ne disait pas que c’est le chef de l’Etat qui lui demandait de convoquer ledit conseil. Ainsi donc, dire qu’à la SNH certaines choses se sont faites pendant un, deux, trois ans sans que le président ne soit au courant, sans que le PCA ex officio, qui est le Secrétaire général de la présidente de la République, j’en doute un peu. Jusqu’à un certain niveau pour beaucoup de choses, c’est le chef de l’Etat qui intervient. Le peu que j’ai vu par exemple dans une entreprise publique, c’est que l’on voulait du carburant. Il fallait subventionner. Le dossier est remonté à Yaoundé, et c’est le chef de l’Etat qui avait donné l’accord qu’ils aient accès au carburant, puisque l’argent qu’ils demandaient que le ministère des Finances leur donne, c’était pour acheter du carburant. Or il y a du carburant, on s’est retrouvé à une sorte de soif de matière, où le monsieur veut de l’argent, on lui a donné du carburant. En un mot, à un certain niveau, c’est vraiment le chef de l’Etat qui signe, on ne regarde plus les statuts.

Prenons un autre cas. Le chef de l’Etat demande de faire passer le pétrole du Niger ou du Tchad. Est-ce que le conseil d’administration peut prendre ce genre de décision ? Il y a des choses que le conseil peut faire. Et d’autres, le PCA, qui doit informer le chef de l’Etat. Si le chef de l’Etat lui dit, la production-là, on nous classe comme un pays qui a une raffinerie lourde : 42.000 barils par jour, oui, ça c’est ce qu’on a dit officiellement. Dans la réalité c’est combien, donne-moi l’information. Il doit pouvoir appeler la Sonara pour la Haute information du chef de l’Etat. De mon point de vue, il y a des choses qui ne peuvent pas se faire pendant de longues périodes, pendant 10 à 20 fois, 60 mois sans que le président du conseil d’administration ne soit au courant, sans que le top management ne soit au courant. Ça doit être un souci de tout instant d’avoir la bonne information sur le bon fonctionnement de ce secteur-là et à chaque fois, pour la Bonne et Haute information du chef de l’Etat.

Je termine en rappelant que ce n’est qu’aujourd’hui qu’on parle du pétrole. Le code du pétrole date de 1999. Je crois qu’il a été modifié en 2012/2016. Le code gazier, ça ne date pas de longtemps.  C’est des sujets sur lesquels on ne se prononçait pas. D’ailleurs, l’ancien directeur avait été clair là-dessus, M. Assoumou Mve, qui avait dit, ceux qui connaissent beaucoup sur le pétrole n’en parlent pas et ceux qui connaissent peu sur le pétrole en parlent beaucoup. (Rires) il avait conclu en disant, ici vraiment il n’y a que moi et le chef de l’Etat qui pouvons parler de ces sujets-là. Il parlait de lui et le chef de l’Etat, il ne parlait pas de PCA. Or peut-être il existait un PCA sans réel pouvoir. C’est pour cela que je dis, Jean Marie Atangana Mebara avait été clair. C’est le chef de l’Etat qui l’avait autorisé à aller présider un conseil.

Vous vous imaginez ? En d’autres termes, il évitait de dire que c’est le chef de l’Etat qui convoque ces assises. Connaissant comment le système fonctionne, l’ADG a fermé la porte au PCA. Dans un cas normal, c’est impossible. Sinon le PCA chasse ce monde le même jour. L’ADG sait comment ça fonctionne, il a eu Joseph Owona, Amadou Ali, Laurent Esso, Atangana Mebara, Marafa Hamidou Yaya. Il a vu tout ce beau monde et connait donc parfaitement bien comment ça fonctionne.

Je conclue par une anecdote. Un jour j’ai vu un ancien du système, je lui avais demandé une anecdote. Il me dit qu’il avait été nommé PCA quelque part. Un jour, alors qu’il est hors de la ville, on l’appelle pour lui dire que le conseil a lieu dans deux jours.  Il leur avait répondu que c’était impossible car c’était lui le PCA et que c’est lui qui devait convoquer. Et comme autour de lui il y avait des gens qui avaient donné son nom, ils l’avaient vu s’agiter et lui avaient demandé ce qu’il n’allait pas. Il leur dit que le DG lui manquait du respect en convoquant ce qui est du ressort du PCA. Tous lui avaient rappelé qu’avant d’être PCA, il n’avait aucun poste et qu’il fallait aller assister au conseil. Ce qu’il fit au bout du compte. Je vous relate cela pour vous dire que, PCA, ça dépend des endroits où on est. Il y a des endroits où vous pouvez être PCA sans que ça ne soit vous qui présidé en vrai. Il y a des PCA de façade.

Propos recueillis par Aloys Onana

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