Enseignant de droit à l’Université de Douala, ce chercheur pense que si la refondation s’impose dans le débat de l’élection à venir, il va y avoir de profonds changements qui peuvent favoriser l’élection d’un profil nouveau pour présider aux destinées du GICAM.
Aussi, analyse-t-il, en fin de son dernier mandat (selon les statuts du Gicam) Célestin Tawamba a perdu la faveur du consensus et pour la première fois, il fait face à l’adversité et semble afficher de la fébrilité. Dans son processus de fusion avec Ecam, des membres fustigent le manque de transparence, la complicité du Commissaire à la fusion et de la Direction Exécutive du GICAM et les conflits d’intérêts de la part de certains administrateurs du GICAM et d’ECAM.
Quelle lecture faites-vous de l’actualité sur le traité de fusion entre le GICAM et E.CAM ?
Je pense que ce débat, qui a atteint son climax, n’est rien d’autre que le paravent de l’élection qui va désigner le patron des patrons le plus puissant du pays. On en est arrivé à ce débat entre patrons mâtiné des analyses d’experts parce que Célestin Tawamba a fait de ce traité de fusion son cheval de Troie pour rempiler à la tête du GICAM, alors même qu’il a atteint la limite de deux mandats. La grande question est désormais celle de savoir si ce cheval de Troie va le conduire à la victoire finale comme Ulysse dans la mythologie grecque.
Je n’ai pas une réponse tranchée à cette question. A moins de lire dans une boule de cristal, il serait osé d’être péremptoire sur l’issue de cette élection. Toutefois, on peut pronostiquer que cette élection sera très disputée. Célestin Tawamba a perdu la faveur du consensus et pour la première fois, il va devoir faire face à l’adversité. Au regard du peu de sérénité qui règne désormais au GICAM, il n’était manifestement pas préparé pour un tel défi car peu enclin à la négociation et au dialogue. Que le oui ou le non l’emporte, au regard de la situation actuelle au sein du Gicam, il sortira perdant de cette bataille…une victoire à la Pyrrhus
Il ne faut non plus exclure que la prochaine élection se fasse sans Célestin Tawamba. Pour à nouveau emprunter à la mythologie grecque, il y a de fortes chances que son cheval de Troie soit mitraillé avant sa mise en service. Je m’explique : si l’Assemblée générale du GICAM qui doit se tenir le 11 juillet à Douala rejette le traité de fusion, c’est échec et mat. Célestin Tawamba sera obligé de passer la main. Car la seule chance qu’il a de se représenter c’est de réussir la fusion qui va accoucher d’une nouvelle institution en remplacement du GICAM.
Le 5 avril lors de la signature du traité de fusion, il avait été dit à l’opinion que les deux conseils d’administration (du GICAM et E.CAM) avaient déjà validé ce projet. Sauf que c’est lors du conseil d’administration du 5 mai (terminé en queue de poisson) et celui du 30 mai (tenu au forceps) que ce projet a été examiné et approuvé par force au GICAM. Avez-vous le sentiment que le processus de fusion respecte la voie normale ?
Je note deux incuries. La première est d’ordre légal et tient au fait que lors de la signature de ce traité de fusion, concernant le conseil d’administration du GICAM, on a confondu, à tort ou à raison, l’accord donné par les administrateurs sur le principe d’une fusion avec E.CAM avec un « chèque en blanc » donné au Président pour boucler le processus à sa guise. En effet, le 5 avril, les administrateurs du GICAM avaient juste validé le principe d’une fusion et non le choix d’une fusion-création. C’est pour régler cette incurie que la réunion du 30 mai a été convoquée pour faire valider au forceps le traité de fusion.
La seconde incurie que je relève concerne le circuit que ce traité de fusion a suivi. On a commencé par le signer, ensuite on a forcé le conseil d’administration à l’approuver. Dernière étape, on veut bientôt contraindre l’Assemblée générale à le ratifier. Ce circuit viole l’ordre normal des choses en transformant l’Assemblée générale en « chambre d’enregistrement ». Or, l’Assemblée générale est l’organe suprême du groupement. Et en matière de dissolution de l’organisation, elle est seule compétente. C’est par là qu’il fallait commencer, en sollicitant le cas échéant auprès d’elle un mandat pour signer le traité ; ou à défaut, il ne fallait donc pas le signer et soumettre à l’assemblée générale un « projet » de traité préparé par les conseils d’administration des deux organisations et non leurs seuls présidents.
Le GICAM : 66 ans, 15 présidents, plus de 1000 membres, 73,8 % du total des recettes fiscales de l’Etat (en 2020), 227 grandes entreprises, 27 associations professionnelles entre autres. E.CAM : 14 ans d’âge, un seul président depuis la création, 400 membres. Si on reste sur un axe objectif, il ne fait aucun doute qu’au vu de ces chiffres, la fusion-création préconisée et défendue par Célestin Tawamba et Protais Ayangma est un non-sens. Pourquoi n’être pas plus franc en disant que cette fusion-création revient en réalité à une absorption « déguisée » du GICAM par E.CAM…la revanche des transfuges d’antan ! Il ne faut jamais oublier qu’E.CAM n’est rien d’autre qu’un appendice du GICAM. Ceux qui ont fondé E.CAM autour de Protais Ayangma dont Célestin Tawamba étaient tous des transfuges du GICAM.
En 2009, ils avaient choisi d’aller voir si l’herbe est verte ailleurs en dénonçant implicitement le fait que le GICAM, depuis sa création en 1957, est resté sous l’emprise des multinationales. Ce n’est pas pour rien que E.CAM s’est constitué comme le protecteur des intérêts des PME nationales. Est-ce le cas aujourd’hui ? La question mérite d’être posée.
En tout état de cause, les tenants de la fusion ont manifestement choisi de ramer à contre-courant ; et ce pour des raisons évidentes : il fallait aller vite ! A chacun d’en tirer les conséquences. Ce que je sais c’est que plusieurs patrons considèrent qu’on a manifestement mis la charrue avant les bœufs dans cette affaire ; rendant ainsi le processus illégal voire frauduleux. Ces derniers marquent un point.
A quelques jours de cette assemblée générale, des membres du GICAM dénoncent sous anonymat des charters électoraux composés d’hommes d’affaires qui ne sont pas syndiqués au GICAM. A votre avis, c’est une dénonciation sérieuse ?
Fort possiblement ! Je remarque que tout le monde ne s’accorde pas sur le nombre des adhérents inscrits. C’est tout dire. Et cela sera encore davantage contesté si, au lendemain de la fusion, des élections devaient se tenir, avec les adhérents d’E.CAM dont le nombre sera davantage contesté !
D’ores et déjà, il faut dire que le processus actuel tel qu’il est mené semble fortement contesté, avec de forts soupçons de (i) manque de transparence dans l’information des instances du gouvernance du GICAM, (ii) défaut d’impartialité notamment du Commissaire à la fusion et de la Direction Exécutive du GICAM ou encore (iii) conflits d’intérêts de la part de certains administrateurs du GICAM et d’ECAM ; toutes choses qui interpellent sur le respect des textes en vigueur mais aussi l’observation d’une certaine éthique dans la démarche. Dans d’autres circonstances, on aurait pu penser que certains administrateurs intéressés s’abstiennent de prendre une part active dans ce processus ou encore que l’assemblée générale se soit vue proposer par exemple de choisir entre fusion-absorption et fusion-création ou encore que les 2 présidents actuels s’engagent à ne pas présider aux destinées de la nouvelle centrale patronale.
Maintenant, sur les conditions du vote du 11 juillet prochain, ayant passé outre l’avis du Comité des Sages, Célestin Tawamba devra réunir 75% des suffrages exprimés pour « entériner » sa fusion-création. On peut comprendre que pour y parvenir, l’équipe en place s’active au sens propre comme au figuré. Il faut donc rester attentif au nombre d’adhésions nouvelles, aux modalités de paiement des cotisations pour les adhérents en souffrance, à la validité des procurations présentées le jour J et surtout à l’impartialité de la Direction Exécutive qui a la charge de préparer ce scrutin. Voilà les leviers sur lesquels vont certainement se jouer ce vote.
Bien évidemment, le joker restera l’issue des procédures judiciaires engagées également et qui resteront une « épée de Damoclès » sur le processus. Au regard de tout cela, l’option la plus sage serait à mon avis, comment l’ont suggéré les Sages du GICAM, de surseoir au processus actuel puis de démarrer un nouveau processus de rapprochement plus consensuel, dans la légalité et l’éthique qui doivent présider à un projet aussi important et structurant pour le Secteur privé camerounais voire sous-régional.
Si pour certaines voix dignes d’intérêt, le GICAM doit littéralement absorber E.CAM, ces mêmes voix soulignent à grand trait la nécessité d’une refondation du patronat camerounais. Qu’est-ce qu’on peut bien y comprendre et y attendre ?
La refondation est une option séduisante à plus d’un titre. C’est à mon sens le véritable débat de l’heure parce qu’il pose une préoccupation grégaire qui est l’arrimage du GICAM à la structure actuelle de l’économie camerounaise. C’est parce que cet arrimage n’a pas été fait en 2009 qu’une faction de patrons est allée créer E.CAM. Ils se plaignaient, comme je l’ai dit plus haut, de ce que le GICAM est resté le lobby des multinationales et que les PME ont du mal à trouver leur place dans ce groupement. C’est à cette époque qu’on aurait dû lancer le chantier de la refondation. Malheureusement ça ne s’est pas fait avec les conséquences qu’on connaît.
La fusion aurait pu également être l’occasion d’une telle refondation. Mais, en l’occurrence, cette fusion semble être un artifice juridique au service d’intérêts purement personnels. Les architectes de ce projet ont choisi pour des raisons évidentes de sceller la fusion avant de la penser là où ils auraient pu penser la fusion avant de la sceller ; et à partir de là, en faire le déclencheur d’une véritable refondation du Patronat. Tout n’est pas perdu. Si le traité actuel venait à être retoqué, une autre équipe pourra conduire avec plus de sérénité et de consensus un tel rapprochement, en lieu place de l’autoritarisme et de la division qui règnent actuellement.
Les mêmes causes engendrent les mêmes effets, il ne faut donc pas exclure que si ce débat est encore occulté lors de l’élection à venir, de nouveaux patrons aillent créer une autre organisation. Le rassemblement du patronat camerounais effrité que Célestin Tawamba professe ne passe pas par une « fusion-réélection » comme c’est le cas, mais par une « fusion-refondation ». Aucun sujet ne doit être occulté. Aucune voix ne doit être ignorée. Je crois d’ailleurs que les tenants actuels de la fusion qui soutiennent la refondation, en la présentant même comme un bon projet de campagne, croient comme moi qu’il s’agit d’une idée séduisante ; plus même, qu’il s’agit d’un chantier pressant. La refondation survivra au débat sur la fusion, mais le contraire n’est pas vrai.
Si la refondation s’impose dans le débat de l’élection à venir, il va y avoir de profonds changements qui peuvent favoriser l’élection d’un profil nouveau pour présider aux destinées du GICAM : un profil expert, rassembleur et ouvert sur le monde. C’est pour cette raison que le cycle d’ateliers sur la refondation du Patronat mené par le Think Do Tank The Okwelians doit être observé de près. Cette réflexion a de fortes chances de déboucher sur un débat interne sur la refondation du GICAM.
Dans l’imagerie populaire, les chefs d’entreprises sont des patrons éthiques. Sauf que là nous avons un patron des patrons qui ne voile plus sa boulimie du pouvoir. Le virus de conservation du pouvoir à tout prix qu’on voit dans certains pays africains a-t-il finalement piqué nos patrons ?
C’est une question complexe qui appelle un développement sociologique. Je ne suis pas compétent pour apporter une réponse éclairée. Je peux néanmoins dire que Célestin Tawamba, puisque c’est de lui que vous parlez, aurait passé la main qu’il partirait avec les honneurs. Par ailleurs, sous d’autres cieux, le fauteuil de patrons des patrons sanctuarise le culte de l’alternance parce que ces hommes sont des capitaines de valeur, des vecteurs de croissance, des champions nationaux de leurs pays, avec des organisations de renom à diriger.
Propos recueillis par Godlove Tekam