L’on espère un profond changement de paradigme qui devra doper l’économie sous-régionale.
*Par Emmanuel WAFO [photo]
Yaoundé, la capitale du Cameroun, accueille ce 17 mars la 15ème session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC). De sources officielles, la présence de tous les six Chefs d’Etat de la sous-région est certaine. De quelques indiscrétions qui filtrent sur les sujets à l’ordre du jour, ressortent, de manière non exhaustive, l’épineuse question relative à l’avenir du FCFA, l’import substitution, les conséquences de la guerre russo-ukrainienne, le coût de la vie, les crypto actifs. De manière globale, tous les sujets qui engagent de manière impactante la vie de la communauté.
Les enjeux ne sont plus à démontrer, au regard de la conjoncture économique caractérisée par les soubresauts de la pandémie à corona virus, renforcés par de redoutables conséquences de la guerre entre la Russie et l’Ukraine et dont les effets dévastateurs se font ressentir avec acuité dans une CEMAC de six Etats aux potentialités économiques incommensurables, mais qui reste curieusement dépendante de l’extérieur pour se nourrir, se vêtir, se soigner… La CEMAC a même importé l’inflation !
Aux plans internes, certains pays doivent composer avec des conflits sécuritaires et politiques, l’afflux de réfugiés et des problèmes climatiques divers qui affectent durablement la capacité commune à répondre aux défis sociaux et aux exigences d’une mondialisation toujours plus contraignante.
Ainsi donc, pourrait-on dire, sous la cendre apparente en zone CEMAC, couve un feu réel qui peut s’éteindre à condition de passer au crible avec courage et abnégation tous les sujets fâcheux. D’où des attentes des milieux d’affaires et autres agents économiques à des degrés divers.
Au sujet de la monnaie commune, le FCFA, et sans toutefois en faire une panacée, il est l’heure de s’interroger sur la pertinence et sur l’efficacité de ses mécanismes de gestion à l’aune des mutations de la gouvernance économique mondiale. Fixité du taux de changes, convertibilité illimitée, libre transférabilité sont-ils des principes qui restent compatibles avec l’urgence de plans ambitieux de relance de l’investissement pour remonter la pente et retrouver le sentier de l’émergence ?
Il convient de considérer que la stabilité monétaire, aussi importante soit-elle, ne peut rester un dogme surtout si elle s’obtient au prix d’une répression monétaire qui asphyxie les zones reculées et se manifeste aujourd’hui par le durcissement des conditions de transferts à l’étranger, y compris pour régler les factures de biens essentiels comme les outils de production et certains intrants industriels non substituables en local.
Le coup de forcing opéré par l’un des pays de la sous-région devrait donner l’alerte sur la détresse d’un grand nombre d’acteurs économiques qui peinent désormais à se convaincre de la pertinence “immuable” d’une monnaie dont le relent colonial reste manifeste face aux mutations rapides de l’économie et de la finance ; l’irruption des technologies discursives (crypto monnaies) étant l’une des facettes qu’il convient d’appréhender. Même si les Chefs d’Etat ont confié l’analyse initiale sur les évolutions de notre monnaie à l’Institution qui s’est toujours érigée en défenseur des mécanismes actuels, une décision forte pour une réflexion structurée, ouverte et participative est espérée.
S’agissant de l’intégration sous-régionale, il faut désormais inscrire son volet économique sous le prisme de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Là également, des décisions précurseurs de réformes favorables à la diversification des économies sont attendues. Développement de chaînes de valeurs intégrées à l’échelle sous-régionale, infrastructures intégrateurs, construction de champions régionaux, autonomie dans les secteurs stratégiques, valorisation du potentiel agro-industriel sous-régional, lutte contre les changements climatiques sont autant de défis dont la résolution ne peut plus être remise à plus tard si la CEMAC ne souhaite plus être à la merci des aléas de la conjoncture internationale et veut exister dans le vaste marché continental déjà en place depuis 2021.
Concernant les infrastructures, véritables froment à toute intégration sous-régionale en l’occurrence, les projets intégrateurs déjà bien ciblés dans le transport et l’énergie méritent un meilleur sort. Si la disponibilité de certains partenaires bilatéraux et institutions internationales à les accompagner paraît aujourd’hui hypothéquée, il appartient aux pays de la sous-région de trouver des solutions innovantes, possibles grâce aux contrats de partenariat public/privé (PPP), pour assurer leur financement.
Pour cela, le maître mot restera à jamais la gouvernance. De nouvelles attitudes sont en effet indispensables de la part de nos administrations nationales et sous-régionales pour explorer ces nouvelles opportunités, offrir la visibilité indispensable à ce type d’investisseurs et assurer une mise en œuvre diligente des projets ; les délais d’exécution étant un facteur clé de réussite dans le domaine.
La communauté des affaires de la sous-région espère que le sommet de Yaoundé sera l’occasion d’un sursaut pour relancer l’économie du bloc économique encore en pleine tempête. Aussi, faut-il le souligner à grand trait, le sommet de ce jour intervient dans un contexte singulier de prise de conscience plus élargie des pays africains sur les enjeux politiques et économiques mondiaux qui portent sur la remise en cause de certains équilibres géostratégiques, l’expression plus affirmée, plus ouverte d’une volonté d’autonomisation des peuples à différentes échelles.
*PDG de MIT Chimie
Président de la Commission économie et développement de l’entreprise au Gicam