Représentant permanent du Cameroun auprès de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) depuis 2008, membre du Conseil de l’OACI pendant huit (8) ans, observateur de la Commission de la Navigation Aérienne, expert en sécurité de l’Aviation Civile, en assurance qualité pour les services ATS et en systèmes des Technologies de l’Information et des Télécommunications, notre invité se prononce sur les détails de la Conférence internationale sur le transport aérien en Afrique centrale (CITAC), qui a lieu à Douala du 18 au 19 janvier 2023.
La zone CEMAC se distingue par certains freins à l’intégration qui se manifestent par l’évocation de mur frontalier chez un voisin. Pourtant la CITAC veut trouver des stratégies à la dynamisation du transport aérien. Pourquoi ?
Je vous remercie pour cette question essentielle que tous les professionnels de l’aviation civile se posent lorsqu’il s’agit de l’Afrique Centrale. Comme vous pouvez le constater l’Afrique Centrale reste la dernière région africaine ne disposant pas d’un hub je dirais ne disposant d’aucune compagnie aérienne compétitive. L’ouverture des frontières de la région va certainement améliorer la desserte régionale. Je voudrais mentionner ici quelques principes de l’approche régionale :
En raison de la lutte contre le terrorisme, il est possible que certains États soient inconfortables avec l’ouverture de leurs frontières. Afin de remédier à ce risque, la région peut adopter la notion d’un passeport régional ce qui voudrait dire : la centralisation des données de tous les passeports délivrés dans la région ; et l’échange des données de tous les passagers entrants et sortants de la région.
L’une des stratégies serait l’utilisation des nouvelles technologies pour accélérer la mise en place des systèmes permettant de réduire ces risques et atténuer les inquiétudes de certains États, notamment l’adhésion de tous les États au système OACI sur le Répertoire des Clés Publiques (PKD) qui pourraient permettre aux États de se connecter sans à mettre en place un système technologique coûteux, une autre option serait que la région puisse mettre en place la technologie Blockchain privé permettant seulement aux États de la région de voir et de contrôler le flux des passagers dans la région. Comme vous le savez la libre circulation des personnes et des biens sont deux éléments essentiels pour la viabilité des entreprises de transport aérien dans une région.
Depuis la mort de la compagnie Air Afrique, le bloc économique peine à s’accorder pour la relance d’une nouvelle entreprise tout comme les pays peinent à s’auto offrir une compagnie aérienne. Comment le comprendre ?
Je crois ici nous devrions parler plus près de nous à savoir l’échec de la mise en opération de la compagnie AIR CEMAC. Je pourrais souligner ici que les causes ayant servi pour la liquidation d’Air Afrique sont à l’origine de l’échec de la compagnie régionale AIR CEMAC.
Bien que la Convention relative à l’aviation civile internationale encourage l’exploitation des entreprises de transport aérien en commun, il faut noter que pour arriver à cela, les États font face à des difficultés, notamment : La divergence dans les priorités politiques, La disponibilité des ressources, le niveau de développement des infrastructures, le manque d’expertise régionale pour mieux exprimer les besoins de la région.
Sans être exhaustif, il est parfois difficile d’élaborer une vision commune. De plus, Les personnes sollicitées en soutien manquent parfois de connaissances culturelles pour mieux comprendre l’aspiration des États et se content des solutions ayant fait la recette ailleurs mais mal adaptées à la région. D’un autre côté, les États eux-mêmes ont toujours une pensée protectionniste. Mais les avantages de la libéralisation, la Décision de Yamoussoukro (DY) n’arrive pas toujours à convaincre les États, même dans la notion du proche voisin tel que la mise en œuvre de YD, on trouve encore des blocages à libéraliser.
Quelle est selon vous la portée du transport aérien pour une économie émergente ?
Parmi les leviers dont disposent les Gouvernements pour atteindre leurs objectifs d’émergence figure en bonne place l’aviation civile avec les atouts suivants : moyen de transport sûr, rapide et moins coûteux à mettre en place et rentable à moyen terme, catalyseur de la productivité des acteurs économiques en favorisant les investissements et de la croissance économique, vitrine d’attraction des investissements étrangers, Outil d’accroissement de la compétitivité des entreprises locales, Véritable multiplicateur de l’amélioration de la qualité de vie des citoyens par la création locale des emplois, levier du développement du tourisme et du commerce national, régional et mondial, facilitateur de la connectivité fluide entre les zones enclavées et les grandes villes, instrument de souveraineté de l’État pour pallier aux impacts causés par le refus des compagnies aériennes étrangères de desservir le pays.
En l’absence d’un système de comptabilité nationale des Nations Unies reconnu pour quantifier la contribution de l’aviation civile dans les économies des États membres, l’aviation civile a adopté la méthodologie d’Oxford Economics qui consiste de mesurer l’impact de l’aviation par le nombre d’emplois (direct, indirect, induit et catalyseur du tourisme) d’une part; et la valeur ajoutée au Produit Intérieur Brut (PIB) vous trouverez quelques exemples ci-dessous.
Fort de ces atouts, les performances en une seule journée de l’aviation civile mondiale en 2018 selon la mesure d’Oxford Economics, présentent douze (12) millions de passagers, cent vingt mille (120.000) vols et 18,8 milliards de Dollars US de biens transportés. Globalement, l’aviation représente 65,5 millions d’emplois et 2700 milliards de Dollars de contribution au PIB des États. On peut avancer qu’à ce jour le transport aérien contribue à environ 4% dans le PIB de certains États. Il faut noter que tous les pays émergents disposent d’une solide industrie aéronautique.
Paradoxalement, il se trouve qu’à l’analyse, l’aviation semble ne pas être prise en compte dans l’élaboration de la politique économique dans la région à la hauteur de sa contribution.
Quelles peuvent être les causes ?
Les causes sont multiples et attribuables à l’ensemble du système sur les plans politique, structurel et ressources.
Quelques exemples 2018:
État | Emplois | PIB (Milliards $ US) |
Afrique du Sud | 472.000 | 9,3 |
Brésil | 839.000 | 18,40 |
Canada | 632.000 | 48,40 |
Chine | 6.000.000 | 104,10 |
Dominicaine | 481.000 | 9,00 |
Éthiopie | 1.093.000 | 4,10 |
États-Unis | 6.535.000 | 778,4 |
France | 1.142.000 | 105 |
Kenya | 411.000 | 3,2 |
Maroc | 979.000 | 9,6 |
Le transport aérien est encore considéré dans la zone comme une affaire réservée à une classe sociale aisée. Comment briser cette perception à l’heure de la zone de libre-échange continentale africaine?
Le premier principe de la création de l’aviation civile internationale repose sur le caractère économique. Le Transport aérien est un mode de transport qui procure le bien-être de la population. Ses coûts doivent permettre à tous citoyenne ou citoyen de pouvoir voyager. Malheureusement, lorsque ces coûts sont élevés, il devient difficile à toutes les couches sociales de l’utiliser. Permettez-moi de revenir sur la relation entre les coûts du transport aérien et le PIB de l’État. Le constat réalisé dans les prix des billets renvoie l’image que ces coûts sont largement au-delà du PIB des États de la région.
Les États peuvent remédier à cela par l’atténuation des facteurs qui y sont à l’origine, notamment :
- Le niveau de sécurité aérienne (ou niveau de risque des accidents) de l’État qui parfois augmente ou diminue les primes d’assurances des exploitants ;
- Le niveau des taxes sur les produits dont les compagnies doivent tenir compte lors de la tarification ;
- Le niveau de libéralisation ou de monopole de la politique de l’État ;
- Tout autre élément.
Est-t-il possible que nos compagnies aériennes fassent autorité dans un milieu où des compagnies aériennes étrangères, extra africaines font des entrées économiques importantes ?
Nos pays doivent comprendre que la première étape est certainement de former des alliances car chaque pays pris individuellement ne pourra pas disposer de l’ensemble de ressources nécessaires pour atteindre cet objectif. Les instruments communautaires aujourd’hui ne peuvent être forts que si les États les constituent sur les bases de la bonne gouvernance avec moins d’implication des décisions politiques.
Il ne faut pas croire que les États ne peuvent pas créer une entreprise forte. Nous avons des exemples qui marchent sauf que dans ces États la composante politique est neutre dans la gestion de l’entreprise.
Que peut-on voir changé dans l’univers du transport aérien après la CITAC ?
La Conférence de Douala est une opportunité de porter le message auprès des gouvernements de la région de l’importance à mettre dans l’aviation pour les objectifs de pays émergents qui figurent dans presque toutes les visions de la région. Il sera nécessaire que la CITAC formule des actions et identifie les personnes capables de porter et de piloter toutes les actions. Identifier les bonnes actions n’est que le début de la résolution d’un problème. Il faut se souvenir qu’après la deuxième guerre, l’aviation a été créée pour relancer l’économie mondiale.
Aussi, les pays émergents ont placé l’aviation au centre de leur moteur de développement culturel, économique et social. Je vous remercie de m’avoir permis de m’exprimer sur ces points importants de la connectivité de la région qui compte près de 230 millions d’habitants, d’une monnaie unique et d’une libre circulation des personnes et des biens.
Propos recueillis par Aloys Onana