Membre du Conseil d’Administration et Porte-Parole du Président du GICAM, cet avocat donne la position du premier patronat camerounais sur la tenue du Cameroon Business Forum. Interview publiée dans notre version hard copy du 29 au 30 novembre 2021. Un dossier spécial de 16 pages dédié au CFB.
Le premier patronat du Cameroun ne démord pas face à une conviction qui est sienne. Celle de la réforme profonde du Cameroon Business Forum. Ici, des raisons d’une telle posture et la suggestion phare que conseille l’organisation patronale numéro un du Cameroun.
Pourquoi selon le Gicam, il faut dissoudre le CBF ?
Il est vrai, le Gicam a sollicité une réforme en profondeur du CBF pour un ensemble de constats. Et plus récemment, une nouvelle donne s’est ajoutée: la suppression du classement Doing Business par la Banque mondiale. Le CBF est en quelque sorte annexé au Doing Business via un ensemble d’indicateurs. S’il n’y a plus de classement Doing Business, que deviennent les indicateurs Doing Business du CBF ? Mais bien au-delà de tout cela, je pense que la question de la suppression du CBF s’impose d’abord et avant tout au vu du bilan peu flatteur des dix années de cette plateforme. Après dix ans, on se rend compte aujourd’hui qu’en matière d’environnement des affaires, notre pays reste à la traine. Quand on regarde un certain nombre d’indicateurs notamment au niveau international, on voit par exemple que dans le Global Competitiveness Report en 2019, le Cameroun restait 123e sur 141. Quand on regarde un certain nombre d’indicateurs notamment au niveau économique, on se rend compte qu’aujourd’hui encore 31,4 % des entreprises seulement parviennent à financer leurs investissements par crédit bancaire. Par ailleurs, en comparaison avec Singapour où on a besoin que de 10 heures de temps pour effectuer les formalités d’exportation par transport maritime, au Cameroun, on parle de plus de 200 heures. Tout ceci pour dire qu’au terme de dix ans du CBF, à ce jour, stricto sensu, des résultats palpables sont invisibles pour ne pas dire inexistants, ou en tout cas à la marge. Par ailleurs, si on doit regarder aujourd’hui sur le plan économique quelle est la vitalité de notre pays en rapport avec des objectifs que le pays s’est fixés, on ne peut qu’admettre que nous sommes loin du compte. Donc, au vu de ce que dix ans après, le bilan sur l’environnement des affaires est un bilan très mitigé, mais bien plus même les résultats en termes de performances économiques de notre pays ne sont pas à la hauteur des attentes, une refonte du CBF est inévitable.
Pourtant en face, le gouvernement répond qu’en 10 ans, c’est 122 résolutions qui ont été mises en œuvre. Cette performance en 10 ans, n’est –ce pas suffisant ?
Nous avons une difficulté générale dans notre pays. Nous avons des textes. Mais sont-ils appliqués ? Alors, quand on parle de mise en œuvre des réformes, de quoi parlons-nous exactement ? Est-ce que la mise en œuvre c’est simplement le fait d’avoir adopté un certain nombre de textes ou c’est le fait que ces textes aient été effectivement appliqués et respectés ? Je pense que si on regarde sous cet angle-là, on verra bien que l’évaluation est toute autre. Pendant que le gouvernement parle de 122 réformes mises en œuvre, l’analyse qui est faite par beaucoup d’observateurs avertis sur le plan international parle plutôt de 20 seulement des réformes qui ont été effectivement exécutées. Donc on passe de 122 à 20 seulement ! C’est pour dire qu’adopter des mesures ne suffit pas. Bien plus, le CBF tel qu’il existe aujourd’hui, et il faut se l’avouer, ne traduit pas l’ambition économique exprimée par notre pays, y compris à travers la SND30. Les indicateurs du CBF tiennent-ils par exemple compte de la part de contenu local créée chaque année dans l’économie pour les entreprises nationales? Non ! Aussi, le CBF tel qu’il est structuré aujourd’hui ; ne permet pas une gouvernance économique optimale. Combien de réunions se tiennent au-delà du forum annuel auquel nous sommes conviés –parfois nous ne sommes même pas associés à l’ordre du jour de ce dernier pour ne pas dire jamais. Ensuite les résolutions, nous les découvrons en séance plénière. Combien de réunions sont tenues entretemps pour suivre l’évaluation, pour vérifier, pour constater là où il y a des difficultés et améliorer ? Il y a un vrai décalage entre la perception des pouvoirs publics et la réalité économique subie par le secteur privé.
Quelle est selon vous la condition sine qua non qui ferait que le Gicam acquiesce la poursuite des tenues de la plateforme CBF ?
Nous voulons une refonte pure et simple du CBF ! Nous voulons un cadre de concertation entre le secteur privé et le secteur public qui soit à la hauteur des ambitions économiques de notre pays. Cela veut dire premièrement que nous voulons un cadre de concertation dont les indicateurs traduisent l’ensemble des axes ou des priorités économiques que nous avons définies pour le Cameroun. Deuxièmement, le fonctionnement de ce cadre doit être inclusif. Aujourd’hui nous faisons un CBF où le chef de file du secteur privé, c’est la Chambre de commerce qui est une organisation consulaire. En termes de représentativité du secteur privé et de légitimité, ce sont les organisations patronales dont le Gicam est la plus importante qui représentent légitimement le secteur privé. Troisièmement, le cadre doit être un cadre concerté, c’est-à-dire un cadre dans lequel on fixe ensemble l’ordre du jour, où on définit ensemble comment travailler et avoir à la fin des comptes rendus et procès-verbaux et comment évaluer ensemble la mise en œuvre. Enfin, la cadre doit être un cadre consensuel. Connaissez-vous le processus de prise de décision dans le cadre du CBF ? Vous assistez à une grand’messe où nous sommes tous invités et on nous présente les résolutions. Cela ne peut plus durer et il nous faut impérativement sortir de cette « cosmétique évènementielle ».
Renforcer le cadre de concertation public/privé, oui, mais vous avez quand même réussi à déplacer de Yaoundé pour Douala le Premier ministre chef du gouvernement en mai 2021. D’aucuns mettent cela sous l’angle des retombées du dialogue permanent entre vous et le secteur public, qu’en hauts lieux, le Gicam est écouté et respecté…
Il faut saluer les efforts du Premier ministre de vouloir redonner sa place au secteur privé et de vouloir créer un climat dans lequel l’Etat et le secteur privé avancent main dans la main pour relever notre économie. Cela est à saluer. Mais dans le même temps, il ne faut pas oublier que quand on parle du secteur public, de l’administration, cela concerne un ensemble d’acteurs. Avant le processus d’adoption de la loi de finances, le Gicam est souvent convié à des réunions pour discuter des innovations fiscales, mais nous n’avons jamais le projet de la loi des finances en mains. Aujourd’hui, les enjeux de notre pays vont au-delà des questions de personnes. Des personnes peuvent poser des actes qui vont dans le bon sens mais il faut par-dessus tout une réforme structurelle et systémique dans le dialogue public/privé ; et c’est cela que le Gicam appelle de ses vœux. Nous voulons une nouvelle approche du dialogue. C’est d’ailleurs pour cela que, parallèlement à ce que nous faisons, nous nous sommes aussi rapprochés par exemple de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM). Une convention de partenariat a été signée avec cette grande école. Nous y avons été pour présenter le Livre Blanc et nous espérons poursuivre les échanges pour que les fonctionnaires de demain soient des acteurs plus ouverts aux réalités de l’entreprise et donc, qu’ils soient des acteurs qui facilitent ce dialogue, qu’ils soient convaincus de l’importance de ce dialogue. Pour atteindre les objectifs de développement que nous nous sommes fixés dans la SND30, il faudrait que le secteur privé soit un acteur de cette dynamique et que le secteur privé soit un moteur et dans ce cas, on comprend qu’on ne peut pas faire ce chemin, sans que la personne qui est censée être le moteur puisse elle-même prendre part aux décisions qui dessinent ce chemin. Pourtant dans le processus de la SND30, dans quelle mesure on a associé le Gicam pour définir cette stratégie ? Dans l’évaluation de celle-ci, dans quelle mesure avons-nous été associés ? Ce sont des questions que nous devons nous poser. Ailleurs, dans les pays que nous admirons aujourd’hui, notamment la Malaisie, un tel processus s’est fait de manière itérative et surtout participative. Le Cameroun ne doit pas être en reste.
Très souvent le Gicam dit tout son désir de vouloir rencontrer le chef de l’Etat, ou l’inverse. Si jamais il y avait une telle rencontre, cela vous amènerait –t-il à revoir votre regard sur le CBF par exemple ?
Le Cameroun est aujourd’hui à un carrefour. D’ailleurs la présence du Premier ministre au Gicam notamment dans le cadre de la reconstruction du Nord –Ouest et Sud-Ouest, montre que nous sommes à une situation charnière de l’histoire de notre pays. Plus que jamais et urgemment, il faut que toutes les forces en présence se mettent ordre de bataille pour relever le défi, d’abord de la paix et de la cohésion sociale, et ensuite de la prospérité économique. Et l’architecte en chef de cette stratégie, c’est le chef de l’Etat. Donc, à partir de là, il est souhaitable aussi pour le Gicam qui représente 70 % de l’économie camerounaise, d’échanger avec ce dernier pour mieux s’imprégner de sa vision, et aussi mieux partager les réalités économiques qui sont celles de notre pays. Dans d’autres pays au monde aujourd’hui, le dialogue public/privé est incarné par le chef de l’Etat. En Côte d’Ivoire par exemple, la rencontre entre secteur privé et public est présidée par le chef de l’Etat. Cela participe également par ailleurs d’un message à véhiculer auprès de notre jeunesse : l’entrepreneuriat est une voie d’avenir et une voie respectable pour chaque individu pour pouvoir s’accomplir. Ainsi, si l’architecte en chef venait à donner une telle impulsion, pour nous cela serait un signal fort car derrière cela, tous les autres acteurs publics vont s’imprégner de ce message et le mettre en œuvre. Cela permettra ce changement de paradigme tant attendu. Donc oui, pour nous ce serait un acte fort avec des répercussions très positives sur la culture du dialogue entre les créateurs de richesse et l’administration publique du pays.
Propos recueillis par Aloys Onana