A la demande du Cameroun, le Fonds monétaire international (FMI) a diagnostiqué la situation de la corruption au Cameroun et dégagé des pistes de solution.
Le Cameroun, confie le Fonds monétaire international (FMI), l’a sollicité pour mener une enquête sur les poches d’existence de la corruption. Pratiquement, tous les départements ministériels stratégiques sont passés au peigne fin. Une mission du Fonds a donc mené un diagnostic de la gouvernance et de la corruption du 27 février au 17 mars 2023.
La mission était dirigée par M. Joel Turkewitz et composée de David McDonnell, Stephanie Forte, Patrick Rafolisy (tous du département juridique), Jean-Luc Helis, Jean-Francois Wen, Anthony Ramarozatovo (tous du département des finances publiques), Aldona Jociene, Alexis Boher (du département monétaire et des marchés de capitaux), et Yara Gilchrist (du département financier).
La mission s’est entretenue avec des conseillers du premier ministre; le ministre d’Etat, ministre de la Justice, garde des Sceaux et ses collaborateurs ; le ministre des Finances et ses collaborateurs ; et les responsables du ministère de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire, du ministère des Marchés publics, du ministère de la Décentralisation et du développement local, du Contrôle supérieur de l’État et du Conseil de discipline budgétaire et financière, de la Commission nationale anti-corruption, de la Chambre des comptes de la cour suprême, de l’Agence nationale d’investigation financière, et de l’Agence de régulation des marchés publics. La mission a également rencontré des membres de la société civile et des partenaires internationaux engagés dans les questions de gouvernance et de lutte contre la corruption.
Après toutes ces rencontres, le Fonds dégage un résultat. « Le diagnostic effectué a révélé certaines avancées dans l’amélioration de la gouvernance économique, mais elles s’avèrent insuffisantes face aux sérieuses et systémiques faiblesses de gouvernance et vulnérabilités à la corruption dans certaines fonctions importantes de l’État. »
En clair, la volonté de lutter contre la corruption existe. Mais celle-ci échoue face à la puissance de certains départements ministériels où la corruption garde tous ses muscles dodus. Sous la loupe du FMI, apparaissent des départements ministériels où les effets de la corruption ont un impact macro macroéconomique particulier. Cet impact touche notamment la gestion des finances publiques (notamment la formulation et l’exécution du budget), l’administration des marchés publics (appels d’offres et exécution des contrats), la gestion et la surveillance des entreprises publiques, la transparence de la politique et de l’administration des recettes, ainsi que la propriété foncière (problèmes de clarté et de sécurité).
Si des efforts sont pointés dans ce rapport de décembre 2023 sur le diagnostic de la gouvernance et de la corruption au Cameroun, le FMI s’appesantit sur de nombreuses zones d’ombre qui donnent toute sa puissance à la corruption dans notre pays.
Le Fonds constate que les efforts de mise en conformité du cadre juridique et des dispositions institutionnelles de lutte contre la corruption aux normes internationales méritent d’être considérablement intensifiés pour fournir une base adéquate d’une lutte contre la corruption. La législation anticorruption actuelle reste incohérente et ne criminalise pas de manière appropriée certains actes de corruption conformément aux engagements internationaux.
Par ailleurs, le FMI ressort que les restrictions sévères imposées à l’autorité, à l’indépendance et à la capacité des institutions chargées de l’obligation de rendre compte et de l’application des lois limitent leur efficacité, et le chevauchement de leurs mandats entraîne une fragmentation des efforts. L’absence de systèmes de base, tels que ceux permettant de déclarer les biens des agents publics ou de prévenir les conflits d’intérêts, réduit la transparence et empêche les acteurs internationaux et à la société civile de contribuer aux actions visant à renforcer l’intégrité dans le secteur public. Les vulnérabilités liées à la corruption sont exacerbées par une impunité conséquente, une utilisation limitée des technologies modernes de l’information dans les processus gouvernementaux et un espace restreint pour l’engagement et la participation du public dans la surveillance et la gouvernance.
Sur ce long chapelet des facilités accordées à la corruption au Cameroun, le FMI diagnostique que les institutions financières et certaines entreprises et professions non financières courent un risque important d’être utilisées à mauvais escient pour blanchir les produits de la corruption. L’identification inadéquate des bénéficiaires effectifs des personnes morales et des constructions juridiques, ainsi que des personnes politiquement exposées par les entités déclarantes, accroît les vulnérabilités en matière de corruption et les possibilités de blanchiment de capitaux.
Les faibles niveaux de signalement des opérations suspectes entravent la capacité des services de détection et de répression à détecter les délits financiers, y compris la corruption et le blanchiment des produits de la corruption. « Les enquêtes, les poursuites et les condamnations relatives aux activités de blanchiment d’argent découlant d’infractions de corruption ne sont pas à la hauteur des risques du pays », fait remarquer le Fonds, qui enfonce le clou. « La capacité des services répressifs à poursuivre ces affaires devrait être renforcée, de même que la saisie et la confiscation des biens impliqués dans le blanchiment de capitaux. »
Solutions
Le FMI élague des pistes qui pourraient permettre de donner un sérieux coup à la corruption au Cameroun. Dans la foulée, l’on retient la recommandation qui suggère de mettre le code pénal en parfaite conformité avec les dispositions obligatoires de la Convention des Nations Unies Contre la Corruption (CNUCC), notamment en qualifiant l’enrichissement illicite d’infraction pénale.
Promulguer une loi anticorruption qui garantit l’indépendance de l’agence anticorruption, dotée d’un mandat et de pouvoir d’enquête pénale, établir une ligne budgétaire distincte pour la Chambre des comptes dans le chapitre budgétaire de la cour suprême. A partir de 2024, réduire l’utilisation des “chapitres communs” conformément à un décret sur leur utilisation, en particulier concernant les chapitres 57, 65 et 94 et définir un calendrier pour limiter l’allocation à 3-5% du budget,
En 2025, fixer un plafond d’autorisation de dépenses dans le cadre de procédures dérogatoires, en conformité avec un décret restreignant leur utilisation et un calendrier pour limiter ces procédures entre 3 et 5 % des dépenses. Le Fonds suggère qu’à partir de 2024, inclure le suivi des marchés publics dans les revues trimestrielles d’exécution du budget et publier des indicateurs/rapports sur les marchés publics au Cameroun, renforcer la gouvernance des entreprises publiques, en appliquant strictement les dispositions de la loi sur la durée des mandats des directeurs généraux et des présidents du conseil d’administration, le non-cumul des fonctions et en assurant la sélection des candidats qualifiés, en conformité avec un décret, publier les états financiers annuels des 15 plus grandes entreprises publiques. Ou encore, à partir de décembre 2024, publier sur le site web du ministère des Finances les données sur le nombre de plaintes et de sanctions des fonctionnaires des impôts et des douanes, ainsi que le nombre de cas transmis à la Commission nationale anti-corruption pour enquête approfondie.
Il est aussi suggéré dans ce rapport du FMI n° 23/418 de décembre 2023 la mise en place d’un cadastre numérique en ligne et démontrer les progrès réalisés dans la numérisation des titres fonciers de l’État d’ici à décembre 2024. Renforcer la transparence du processus de sélection des membres du Conseil supérieur de la magistrature afin de garantir son indépendance, et assurer un budget, des ressources et des effectifs suffisants pour le système judiciaire.
Aloys Onana