Investisseur panafricain et président du Conseil national du patronat du Mali (CNPM) -le patronat malien – le milliardaire qui a un chantier hôtelier à Douala s’est confié à la Tribune Afrique.
Crises, accès au financement, formation, foncier, insécurité, stratégies gouvernementales, engagement des décideurs,… Dans ce grand entretien avec La Tribune Afrique, l’homme d’affaires malien Mossadeck Bally, fondateur et PDG du Groupe Azalaï –pionnier africain de l’hôtellerie à l’Ouest du continent, revient sur les grands défis du développement du tourisme continental et reste très orienté solutions.
Pionnier africain de l’industrie hôtelière en Afrique de l’Ouest, Mossadeck Bally a démarré son aventure à Bamako, au Mali, il y a bientôt trente ans, en créant le Groupe Azalaï. Entre temps, ce fils de businessman malien a étendu les cordages de sa chaîne hôtelière au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, en Guinée, au Bénin et au Niger -où il poussa son premier cri en 1961- avec un pied ferme en Afrique centrale depuis quelques années, plus précisément au Cameroun.
Témoin de l’évolution historique d’un secteur longtemps dynamisé par l’investissement des groupes mondiaux et qui tente désormais de se redresser après la fracassante la crise sanitaire et économique mondiale d’il y a deux ans, cet entrepreneur dans l’âme dresse son tableau de l’hôtellerie et du tourisme africain qui devrait, selon lui, s’orienter selon les urgences.
LA TRIBUNE AFRIQUE – En tant qu’acteur africain de l’hôtellerie dans la sous-région ouest-africaine, quel état des lieux de l’industrie faites-vous ?
MOSSADECK BALLY – L’industrie hôtelière a connu au cours de ces dernières décennies un essor très appréciable. Le groupe Azalaï a été pionnier dans la région ouest-africaine, puisque nous avons lancé nos activités dès 1994 avec le rachat du mythique Grand Hôtel de Bamako. Cela a vraiment suscité des vocations auprès des investisseurs africains qui, auparavant, ne s’intéressaient pas aux investissements dans l’hôtellerie et le tourisme.
Avant cela, quelques hôtels existaient, surtout dans les capitales. Mais ils étaient construits par les Etats et gérés par des groupes internationaux. Après cela, des investisseurs africains et non africains ont construit des hôtels et ont considérablement développé la capacité hôtelière de plusieurs pays. Aujourd’hui, la quasi-totalité des grandes capitales africaines ont beaucoup d’hôtels, avec des enseignes différentes : nationales, régionales et internationales.
La pandémie est venue un peu freiner la dynamique, puisque sa survenance en mars 2020 a stoppé l’industrie hôtelière et touristique. L’urgence était de gérer l’accident industriel provoqué par la crise sanitaire. Nous par exemple -chez le Groupe Azalaï- avons dû fermer tous nos hôtels, mis nos collaborateurs en chômage technique pendant près de 10 mois, même si nous avons continué à les soutenir moralement et financièrement. Aujourd’hui, tous nos hôtels sont à nouveau ouverts au Mali. Et nous avons dû effectivement mettre en veille les projets de développement, notamment à Conakry, à Niamey et à Douala, en attendant des jours meilleurs. Nous avons quand même poursuivi la construction de nos hôtels d’Ouagadougou -rénovation/extension- et Dakar, que nous devrions ouvrir d’ici fin 2022.
Le secteur du tourisme mondial, y compris en Afrique, a été le plus impacté par cette grave crise économique mondiale, car paralysé par l’arrêt des voyages. Les compagnies aériennes ont été les premières touchées, ensuite les hôtels, les tours opérateurs, les villes touristiques, … Tout l’écosystème de l’industrie du tourisme et du voyage a énormément souffert.
Depuis qu’il est question de relance économique, les organisations internationales et les experts ont encouragé les Etats à mettre un accent sur le tourisme dans leurs stratégies. Vous êtes impliqué dans plusieurs pays de la sous-région, comment appréciez-vous la place accordée au tourisme dans la relance de nos économies?
Les mesures qui ont été prises diffèrent d’un pays à l’autre. Initialement, il fallait aider les acteurs du secteur à survivre. Certains pays ont mis en place des programmes, d’autres n’ont rien fait. L’une des grandes leçons tirées de cette crise sur le continent africain est qu’il faut absolument développer le tourisme intra-africain, de même que le tourisme domestique. Dans certains pays, les professionnels du secteur ont maintenu la tête hors de l’eau grâce au marché local. Les voyages internationaux étant suspendus, les gens friands de voyage ont découvert leur pays. Une nouvelle tendance a vu le jour : le « Staycation » ou prendre des vacances « sur place ».
Et vous avez raison de poser la question sur ce que font les Etats pour se prémunir de ce genre de choc, d’autant plus que selon les scientifiques, nous n’en sommes pas à la dernière pandémie. Il faudrait que tous les acteurs africains du tourisme se concertent et tirent les enseignements de ce qui s’est passé et qu’on mette en place des programmes pour développer le tourisme intra-africain.
Nous avons des propositions concrètes. Nous connaissons les freins au développement du tourisme intra-africain : la rareté des liaisons aériennes entre les pays africains et leur coût exorbitant. Cela coûte aussi cher de faire Bamako-Dakar que Bamako-Paris ou Bamako-Istanbul. Ensuite vient le problème de visa. Avec le passeport malien, en dehors des quinze pays de la CEDEAO et quelques pays ailleurs sur le continent, je dois prendre un visa pour aller presque partout en Afrique. Alors qu’avec un visa Schengen de circulation de cinq ans, je peux aller dans une trentaine de pays Européens. C’est un problème qu’il va falloir résoudre en opérationnalisant le passeport africain. Ce dernier a été lancé il y a quelques années, en grande pompe, au siège de l’Union africaine à Addis Abeba, mais on ne sait pas ce qu’est devenu ce projet.
Qu’en est-il de la formation, le sujet a souvent fait l’objet de plusieurs plaidoyers d’hommes d’affaires ?
La formation est un impératif et fait partie de nos propositions concrètes. Dans tous nos pays, le tourisme est un secteur prioritaire de développement et de création d’emplois. Aujourd’hui, l’industrie du tourisme représente 10% du PIB mondial et pourvoit à 300 millions d’emplois. Sur le continent africain cependant, la formation reste un défi. Tous les pays qui ont développé le tourisme ont considérablement amélioré la formation technique et professionnelle, en créant ou en favorisant la création d’écoles spécialisées. De manière générale, en dehors des champions tels que le Maroc, la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Kenya, Maurice, les Seychelles et l’Egypte qui ont beaucoup investi dans les infrastructures et la formation, le reste de l’Afrique est à la traîne.
Chez Azalaï, nous apportons notre modeste contribution au vaste chantier de la formation, car nous avons ouvert deux centres de formations aux métiers de l’hôtellerie à Bamako et à Ouagadougou.
Il faut en plus un foncier beaucoup moins onéreux. Cela fait 28 ans que j’évolue dans ce domaine et malheureusement, trouver du foncier est difficile et coûteux dans la plupart de nos pays. Construire est difficile et très cher. Nous n’avons pas de grosses entreprises performantes dans les projets hôteliers. Cela prend généralement quatre à cinq ans pour voir un projet aboutir et il s’en dégage toujours des surcoûts.
En matière de business justement, l’accès au financement a toujours été le nerf de la guerre. Comment cela évolue-t-il dans le secteur hôtelier ?
L’accès au financement est clé. Si nous voulons vraiment développer l’industrie, l’accès au financement est bien l’autre facteur à améliorer. Il est encore très difficile et onéreux d’obtenir du financement pour des projets hôteliers, y compris pour des groupes comme le nôtre qui ont atteint une certaine taille et une certaine notoriété. Et le fait est encore plus marqué en ces temps de crises internationales. Un hôtelier parisien peut emprunter à un taux situé entre 1 et 2%. Mais un hôtelier africain, en Afrique de l’ouest, emprunte entre 7% et 10%(en CFA). L’accès au financement reste une contrainte majeure. Or, l’hôtellerie est une industrie chronophage. Tous les projets prennent donc du temps et consomment énormément de capitaux, qu’il s’agisse d’une zone touristique, d’un espace balnéaire ou d’un hôtel de ville. Chez Azalaï, à titre d’exemple, nos projets hôteliers absorbent entre 20 et 25 milliards de FCFA [environ 30 à 38 milliards de dollars, NDLR], sachant que nous sommes généralement sur des projets de 180 à 200 chambres, excepté à Ouagadougou où nous sommes sur 230 chambres.
C’est ainsi autant d’efforts auxquels doit consentir le continent afin d’attirer beaucoup plus de touristes et surtout développer le tourisme local, donc intra-africain. Avant la pandémie, environ 1,5 milliard de touristes internationaux faisaient l’industrie mondiale, mais le continent africain n’y comptait à peine que 70 millions de touristes. La France à elle seule attire 90 millions de visiteurs chaque année. C’est pour vous dire le chemin que nous avons à parcourir. Cependant, le potentiel est bien présent.
Vous le disiez d’entrée de jeu, vous avez fondé le groupe Azalai en 1994 au Mali. Certes, le pays connaît récemment une situation politique aux répercussions sévères sur son économie, mais peut-on justement espérer le redressement du tourisme local, quand on sait que le secteur subit des perturbations depuis plusieurs années en raison notamment de l’insécurité ?
Le Mali est installé dans une crise multidimensionnelle depuis une décennie à présent. N’oubliez pas qu’à la fin des années 1990, l’Algérie a repoussé sur le territoire malien ses extrémistes les plus redoutables, ceux qui n’ont pas accepté de signer le pacte d’entente nationale que proposait Feu le président Bouteflika. Ce pacte a d’ailleurs contribué à mettre fin à la guerre civile chez eux. Ces extrémistes sont cependant venus s’installer dans le désert malien. Malheureusement, l’Etat malien, à l’époque, n’a pas mesuré l’ampleur des risques et a laissé prospérer ces groupes.
La crise du tourisme au Mali ne date donc effectivement pas de la pandémie. L’insécurité a détruit un tourisme culturel qui se développait très bien avec les sites touristiques et culturels tels que Mopti, Djenné, le pays Dogon et Tombouctou, qui recevaient beaucoup de visiteurs. Le tourisme se développait. Malheureusement, l’insécurité s’y est installée. Les groupes terroristes vivaient de certains trafics (drogues, cigarettes, immigrants illégaux), mais aussi d’enlèvements d’Occidentaux… Ils allaient enlever les touristes dans les pays voisins et les emmenaient dans le désert malien, parce que l’Etat malien n’y était pas présent. Tout cela a détruit le tourisme culturel et de loisirs, bien avant la pandémie. Mais le tourisme d’affaires -dans lequel le groupe Azalaï évolue- a résisté parce que les projets continuent.
Aujourd’hui, la situation est la suivante : le tourisme de loisir est inexistant depuis que l’insécurité s’est installée dans le Nord avant de progresser vers le Centre. Avec les différentes situations récentes du Mali -coup d’Etat, sanctions illégales, tensions diplomatiques- le tourisme a davantage pris un coup. Il faut souligner qu’au Mali, nous avons une économie assez fragile : nous sommes un pays sans littoral ; nous n’avons pas de souveraineté monétaire parce que nous n’avons pas notre propre monnaie ; nous sommes un pays qui importe quasiment tout ; nous sommes un pays très faiblement industrialisé, et tout ce que nous produisons, nous l’exportons à l’état brut. Tout cela est déplorable. Nous exportons les lingots d’or au lieu de les transformer ici, nous exportons 98% de notre coton au lieu de le transformer ici, nous exportons notre bétail sur pied. Il s’agit là des trois sources de devises du Mali.
Dans ce contexte et alors que votre groupe est également actif sur d’autres marchés de la sous-région, comment orientez-vous vos affaires pour tenir le cap ?
Ce que nous essayons de développer actuellement, en dehors de la gestion de nos propres hôtels, c’est la gestion pour compte. Il y a quelques années, nous avons créé une filiale -Salam Management Services (SMS)- qui a signé des contrats de gestion avec le groupe Azalaï et qui gère donc pour le compte de ce dernier sa dizaine d’hôtels. Il est question pour nous de continuer de nous développer, mais en étant « asset light ». C’est un business model classique de tous les grands groupes hôteliers ; tous ont commencé ainsi : construire cinq, dix, quinze, vingt, trente hôtels, se faire une réputation et devenir à la fois propriétaire et gestionnaire d’hôtels pour compte de tiers.
Aujourd’hui nous souhaitons entrer dans cette phase : accompagner, structurer, exécuter, conseiller des investisseurs dans l’industrie de l’hôtellerie et après l’exécution du projet, gérer l’hôtel pour leur compte. Ils pourront ainsi bénéficier de nos trois décennies de construction et de gestion d’hôtels, de la bonne visibilité de nos marques et du professionnalisme de nos équipes.
La nouvelle page qui s’ouvre pour le groupe Azalaï est une page d’hôteliers professionnels qui vont mettre à la disposition de promoteurs non hôteliers, l’expertise accumulée durant trois décennies.
Que vous inspire l’avenir à court terme de l’industrie hôtelière africaine ?
Que ce soit pour l’Afrique de l’Ouest, pour le continent africain où même à l’échelle mondiale, je reste optimiste. Chez Azalaï, à titre d’exemple, nous avons récupéré une bonne partie de notre chiffre d’affaires pré-pandémie et 2022 s’annonce bien.
Le secteur est donc en train de se relever petit à petit de cette grave crise industrielle mondiale. Je pense que nous reviendrons à une situation pré-pandémie d’ici 2023. Les voyages restent une activité humaine absolument indispensable et nous voyons une reprise vigoureuse du trafic aérien, avec son corollaire, la reprise de la fréquentation des hôtels.
L’industrie hôtelière, qui a énormément souffert de cette pandémie, est sur une bonne voie de récupération. Une fois de plus, je réitère mon appel à tous nos gouvernants : il est temps qu’on crée les conditions qui permettent de développer au maximum l’industrie du tourisme et de l’hôtellerie. Le premier défi du continent africain est la création d’emplois et ce secteur peut largement contribuer à relever ce défi.
Source : La Tribune Afrique.com