Chroniqueur politique aux analyses pointues, défenseur des droits humains et membre de Amnesty International France, l’ancien journaliste du Détective et Challenge Pro Magazine entre autres se prononce sur la place de la diaspora camerounaise, ainsi que sur la forte dynamique de l’immigration clandestine.
La diaspora camerounaise fait beaucoup parler d’elle ces derniers temps. Des manifestations à Genève mais aussi des lauriers au Canada. Quel commentaire cela suscite-t-il en vous ?
Les facettes que vous avez présentées dans votre question constituent globalement la preuve que la diaspora camerounaise demeure l’une des plus dynamiques en Afrique. C’est aussi l’illustration que cette diaspora est consciente du rôle qui est le sien dans le processus permanent de construction d’un Etat de droit, démocratique et respectueux des libertés fondamentales. Evidemment que ce n’est jamais la meilleure des publicités pour un pays à l’étranger de voir constamment ses ressortissants houspiller bruyamment le président de la République lors de ses déplacements, mais dites-vous bien qu’en plus de la mal gouvernance, cet activisme s’est fortement nourri de la compression systématique au niveau local des libertés et opinions contraires à celles du régime en place depuis bientôt quatre décennies. La preuve, des manifestations favorables au président Paul Biya, par ailleurs président national du parti au pouvoir , ont été autorisées dans plusieurs villes du Cameroun, alors que dans le même contexte, l’autorité administrative a interdit celle de l’opposition qui voulait exprimer des opinions contraires en formulant des revendications légitimes. Ce deux poids, deux mesures, ne peut que doper certaines frustrations et cristalliser la tension politique.
Pour vous, quelle place doit-on accorder à la diaspora ?
La diaspora est une niche inestimable de potentialités et une source de richesse immense pour le Cameroun. Dans tous les secteurs d’activité, y compris dans des domaines autrefois inimaginables pour un noir et a fortiori un Africain, vous y retrouvez des Camerounais. Le président de la République s’est réjoui en février 2021 des performances remarquables d’une diaspora «exemplaire» mais je pense que le rôle d’un Etat est de garantir à ses citoyens les meilleures conditions de développement et d’épanouissement, afin que les modèles de réussite puissent se multiplier à l’intérieur du territoire. Pris sous cet angle il me semble dès lors déplacé de créer un schisme malsain en parlant «d’une certaine diaspora» comme c’est souvent le cas pour qualifier ceux-là qui posent des revendications visant à améliorer la gouvernance dans leur pays. Certes, les méthodes peuvent être critiquables, mais il faut donner à chaque camerounais de l’étranger sa place de citoyen à part entière et reconnaître la double nationalité. Cela permettrait d’éviter une escroquerie politique et économique qui ne permet pas de tirer pleinement profit de notre diaspora.
L’actualité récente reste encore marquée par ces images choquantes de jeunes compatriotes en plein désert du Sahara. Depuis que vous vivez en Europe, avez-vous compris (enfin) ce qui pourrait y attirer vraiment les jeunes africains au péril de leur vie ?
Votre question pose globalement la problématique de l’immigration clandestine. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), au moins 1146 personnes sont mortes en mer en tentant de rejoindre l’Europe au cours du premier semestre 2021, contre 513 en 2020 et 674 en 2019, soit pratiquement le double sur ces deux dernières années, à la même période. C’est dire à quel point la situation reste préoccupante et selon une étude réalisée par la Fondation Rosa Luxembourg sur un échantillon de jeunes âgés de 18 à 34 ans, le chômage et la précarité constituent les premiers facteurs de l’immigration clandestine. Plus de la moitié de ces jeunes souhaitent quitter leur pays et le tiers considère l’immigration clandestine comme étant la voie la plus accessible. D’autres facteurs tels que les crises économiques et sociales, la mauvaise gouvernance qui aggrave les écarts entre les classes, la multiplication des foyers de tension et conflits armés, enrichissent les causes de l’immigration clandestine. C’est extrêmement difficile dans ces conditions de décourager les migrants qui sont déterminés à traverser la méditerranée quoi qu’il en coûte dans l’espoir d’une vie meilleure.
Contrairement aux pays africains, le Covid-19 fait plus de ravage en Europe. Cela ne devrait-il pas être un argument qui décourage l’immigration clandestine ?
Je ne pense pas que les morts du Covid-19 suffisent à décourager l’immigration clandestine. Comme toutes les autres pandémies, celle du Covid-19 passera. Vous constaterez que les mesures de confinement drastiques imposées au plus fort de la pandémie dans les pays développés avaient entraîné une chute migratoire en Europe. Mais une fois que lesdites mesures ont été progressivement levées, l’immigration clandestine a repris du poil de la bête avec des arrivées massives sur les côtes européennes et des morts dans la méditerranée.
Que faut-il faire pour limiter drastiquement l’immigration clandestine à défaut de la stopper ?
Pour les pays sous-développés, je pense qu’il faut créer les conditions sociales et les opportunités économiques profitables à l’ensemble de la population ; développer les villes et les campagnes, désenclaver le bassin de production et montrer à ces jeunes que l’eldorado ne se trouve pas forcément ailleurs. Il faudrait donc aller au-delà de la sensibilisation et les mécanismes de dissuasion extrêmement couteux qui ont été mis en place par l’Europe. Vous avez par exemple sur l’enclave espagnole de Melilla entre l’Europe et l’Afrique, une frontière en grillages étirés sur onze kilomètres de long et sept mètres de hauteur surplombés de caméras, mais cela ne décourage pas les migrants. Je voudrais par ailleurs souligner que l’histoire du monde est faite de migrations et que pour des raisons diverses, il existera toujours des personnes qui quittent leur pays pour s’installer dans un autre.
Vous avez contribué à l’organisation de la huitième édition du festival d’Amnesty International “Au cinéma pour les droits humains” dans le Sud de la France cette année. Quel bilan en faites-vous ?
Ce fut une belle expérience au plan communicationnel. La réceptivité et l’adhésion des publics ont été au-delà de nos attentes dans un contexte sanitaire difficile. Le bilan chiffré est en préparation, mais nous espérons que la neuvième édition se passera dans de meilleures conditions l’année prochaine. J’en profite pour inviter les africains à s’engager davantage dans l’éducation aux droits humains et leur promotion car, mieux un peuple connaît ses droits très tôt, mieux il sait les défendre.
Propos recueillis par
Aloys ONANA