Vincent Bolloré le sait, autant que le ministre des Transports du Cameroun, Ernest Ngalle Bibehe, lui qui a, certainement, été briefé sur ces questions : le trajet Yaoundé-Douala, long de de 240 km environ, ne dure, avec des trains de récente génération, au maximum qu’entre 1 h 30 et 2 h. Des distances, plus longues, de près de 800 km, soit le linéaire Yaoundé-Ngaoundéré, sont désormais, effectuées comme entre Paris et Marseille, en 3h 10 à 30 environ. Mieux, en Chine, au Japon, ces records sont pulvérisés, réduisant encore plus la durée des trajets. Va pour les grandes puissances industrielles et technologiques.
En Afrique, des pays de niveau comparable au Cameroun ou ayant les mêmes problématiques dans le secteur ferroviaire, disposent désormais de trains aux capacités technologiques de pointe allant dans le même sens. Ainsi, le Nigeria s’est doté de trains dit à grande vitesse dans le cadre d’un vaste programme avec la Chine. L’Ethiopie, très en pointe dans ce domaine de réduction du déficit infrastructurel en Afrique, a doublement installé un réseau de tramways et un parc de trains de récente génération. Option permettant de rallier de longues distances et des pays voisins en un temps encore plus réduit. Le Ghana et le Sénégal ont choisi des partenaires européens pour leurs trains express régionaux, afin de remplacer le parc vieillissant des trains des années 70 et 80, régulièrement repeints et sujets à de nombreux dysfonctionnements et accidents.
Effectuer, à grand renfort de publicité, le trajet Yaoundé-Douala en 6h, est donc à rebours d’une tendance qui se développe, depuis quelques années, dans divers pays du continent africain. Ce d’autant que le choix technique a été celui de la rénovation et de l’adaptation des trains, toutes choses qui contrarient les engagements pris par l’entreprise Camrail, liés à l’acquisition de matériels neufs, dans le cadre du contrat de concession avec l’Etat du Cameroun.
A propos du contrat de concession, jusqu’ici, aucun parlementaire, n’a encore auditionné le gouvernement et les responsables de la Camrail, après les conclusions du rapport sur la catastrophe ferroviaire d’Eseka. L’on se souvient que le 21 octobre 2016, près de la gare d’Eseka, un train ayant, tout aussi été réhabilité, présentant un défaut de freinage, auquel avaient été ajoutées huit voitures acquises en occasion en Chine en 2013, a précipité des centaines de Camerounais dans une catastrophe meurtrière, faisant selon le bilan officiel, 79 morts et 551 blessés.
Depuis, ce contrat de concession, signé le 1er avril 1999, pour une durée de 30 ans et qui a connu deux avenants en 2005 et 2008, n’a jamais été audité, tel que prévu. Pourtant, à la suite de l’accident d’Eseka, pour compenser les matériels déclarés inaptes, une annonce d’achats de cinq voitures voyageurs (construites par le groupe franco-coréen CIM-SSRT) pouvant effectuer, selon les normes récentes, le trajet Yaoundé-Douala, en deux heures, avait été faite. Sans suivi et information des citoyens sur l’effectivité de cette opération.
A cela, étaient ajoutées neuf locomotives, dont 4 pour trains voyageurs, par l’Etat, et 5, pour les marchandises par Camrail, non livrées car en attente de paiement. Dans le sillage d’un plan ferroviaire de rénovation et d’extension des lignes ferroviaires annoncé en 2011, portant sur 3000 kilomètres, et qui n’a jamais fait l’objet d’une mise à jour.
Il appartient donc, aux parlementaires, qui ont effectué ce trajet en 6 heures, de demander des comptes à l’Etat et à Camrail. Et surtout, de faire leur travail constitutionnel : mettre en place une commission d’enquête permettant d’évaluer ce contrat de concession. Et surtout de ne plus faire un tel trajet en 6 h.
A. Mounde Njimbam