Depuis l’arrivé du covid-19 au Cameroun le 6 mars 2020, de nombreux faits entourent cette maladie, tantôt redoutée, tantôt ignorée.
Solution endogène
Paul Biya est un homme des temps modernes. Il sait très bien quelle est la puissance de frappe des médicaments pharmaceutiques. Ainsi que tout ce qui a trait à la modernité médicinale. Même si son entourage le décrit plus comme un homme très attaché à la tradition, au point où à table, le chef de l’Etat commande lui-même des mets traditionnels. Mais pour revenir au coronavirus, Paul Biya n’a pas hésité à faire recours à la tradition, aux herbes, aux décoctions, quid à susciter un sourcillement de l’Organisation mondiale de la Santé. « Dans cette période difficile, nous devons rester un peuple uni, solidaire et discipliné. J’en appelle donc à une sorte d’« union sacrée » de toutes les forces vives de la Nation pour combattre la pandémie du Coronavirus. Je salue à ce propos, une nouvelle fois, l’attitude de la quasi-totalité des dirigeants politiques et des autorités religieuses qui ont accepté de se joindre à ce combat national.
La phrase choc. « J’encourage également tous les efforts visant à mettre au point un traitement endogène du COVID-19. Consacrons toutes nos énergies à la lutte contre cet ennemi commun. » Depuis qu’il a prononcé cette phrase, les tradi thérapeutes ont senti un clin d’œil du chef de l’Etat à leur endroit. Le nombre de conférences de presses à Douala par exemple de ces médecins traditionnels ne se comptent plus. Tous sont convaincus d’avoir voie au chapitre, se sentent capables de mettre sur pied un produit qui puisse guérir le covid-19. Tout en espérant bien sûr, un appui financier du pouvoir de Yaoundé.
Mgr Kléda en liquidité
Un qui a eu beaucoup de chance pendant le coronavirus, l’archevêque métropolitain de la capitale économique. Samuel Kelda. Ceux qui ont encore souvenance de son arrivée à Douala il y a plus de dix ans savent que l’étiquette qui était sur le visage de ce Toupouri était, herboriste. C’est un homme de Dieu « fort » dans la manipulation des herbes. De toute nature. Surtout pour soigner. Et depuis la survenue du coronavirus au Cameroun, Mgr Kleda est désormais plus connu de tous.
Il est soufflé que c’est sa composition herbale qui aurait permis à Samuel Dieudonné Ivaha Diboua –le gouverneur du Littoral- de recouvrer sa santé, après avoir été infecté au coronavirus. Le religieux tradi thérapeute avoue avoir déjà guéri de nombreuses personnes, plus de 400.
C’est ainsi, bien que Samuel, bien que disposant sans doute d’au moins deux comptes bancaires, (personnel (s) et diocésain (s), reçoit un appui particulier. Celui de Jean Pierre Amougou Belinga. Si les toutes les banques, toutes les entreprises qui apportent leur soutien financier au ministère de la Santé publique affichent des chèques, l’archevêque de Douala, lui, a reçu 50 millions de FCFA. Frais. En mains propres. Zéro virement bancaire ! Ce qui pour certains suscite de nombreuses interrogations. Du blanchiment d’argent ? Kleda lui, répond juste, « au moment où le don a été remis, je lui ai exprimé mes sincères remerciements au nom des personnes qui souffrent du coronavirus que nous accompagnons (…) nous apprécions cela. Une haute appréciation à ce donc ! Ce qui veut dire que cela va nous permettre de nous mettre au service du plus grand nombre de démunis et je lui exprime encore ma très grande reconnaissance, au nom de l’archidiocèse de Douala. »
Des Prado de l’OMS à la place des ambulances
Coronavirus est encore là, même si on peut légèrement parler de lui comme au passé. Et l’on retient cette action « bienfaitrice » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Alors que le Littoral, le Centre et l’Ouest se disputent le nombre important de cas de contamination au coronavirus et que le numéro vert (1510) sonne sans arrêt, les médecins et autres personnels de la santé publique attendent plusieurs choses, parmi lesquelles, les ambulances pour aller chercher les cas signés de parts et d’autres.
C’est alors que, trouve que les Prado sont plus convenables que les ambulances. 14 de ces véhicules sont donnés à qui de droit sous l’égide de Naseri Paul Bea, gouverneur du Centre. « Le Centre avait besoin de ces véhicules. Nous avons des départements éloignés et enclavés comme Ngambe Tikar, comme Yoko et autres. Ce qui fait que le besoin était énorme pour nous. Nous voulons dire merci à l’OMS. En bon observateur et bon accompagnateur, qui nous est venu en aide avec 14 véhicules et autant de chauffeurs et l’appui en carburant. »
Pour autant, le geste de cet organisme onusien est très mal perçu. L’on lui attribue le visage d’une savante façon de corruption morale afin que les autorités de Yaoundé acceptent un vaccin contre le coronavirus. Un vaccin encore non existant alors, mais déjà très mal vu par la population qui pense que par là, l’OMS voudrait rendre les familles africaines et camerounaises stériles. L’OMS se défend comme elle peut. « Vous savez très bien que la région du Centre est la région la plus affectée par l’épidémie Covid-19 avec plus de 1000 cas. Et c’est à ce titre qu’on ne pouvait pas rester sans appuyer la région sanitaire, afin de contrôler cette épidémie », déclare Christian Itama représentant de l’OMS.
Témoignages tous azimuts
Le coronavirus est à la mode. Si bien que lorsqu’on ne dit pas en souffrir, on peut être mal vu et essuyer même des quolibets. Pour le comprendre, il faut juste regarder l’avalanche des témoignages. Marie Françoise Ewolo, Emile Fidieck, François Bimogo (tous des journalistes), auxquels s’ajoutent d’autres no name et bien sûr, des ministres en poste, sans oublier tout un gouverneur. Celui du Littoral. Le directeur de publication du journal Eco Matin a pris le soin de produire un communiqué qui a largement circulé sur la toile. Et comme si cela ne suffisait pas, il s’est procuré une place bien visible à la première de couverture de son journal. Tout ça pour dire à l’opinion qu’il a contracté le virus de l’heure. Le 13h, journal très écouté, sinon l’un des meilleurs suivis au Cameroun a réservé quelques minutes dans l’une de ses sorties, pour relater au monde que Marie Françoise Ewolo a choppé le ‘’china virus’’ pour reprendre Donald Trump.
Pourtant, d’autres maladies existent. Que chacun de nous traine tranquillement. Comme la ministre des Postes et télécommunications, Minette Libom Li Likeng. Mais pour faire in, la ministre n’a pas manqué de faire tweet, pour annoncer à l’opinion qu’elle s’est remise du coronavirus. Pour un médecin en charge des cas du covid-19 à Douala, « il est interdit que nous dévoilions nos patients. Ils peuvent le faire eux-mêmes. J’espère qu’après le corona certains seront aussi prêts à dire en public, je souffre de la gonococcie, de la tuberculose, et de toutes ces autres maladies qui font honte. Ces témoignages serviraient également à sensibiliser. »
Paradoxe du « confinement »
Les Camerounais ont tous dans leur vocabulaire des mots qui leur font peur. C’est le cas de ‘’délestage’’, adopté ici depuis les années 2000, et tout récemment, ‘’confinement’’, synonyme d’arrêt de tout. Chacun restant chez soi. Rue déserte. Eglise vidées. Restaurants fermés. Espaces publics interdits et fermés.
Ainsi, mi-mars 2020, le Cameroun compte alors à peine une centaine de cas atteints du coronavirus. Le pouvoir de Yaoundé tremble. Paul demande la fermeture des écoles, toutes catégories confondues. L’affaire est prise au sérieux, même si le Cameroun tutoie déjà plus de 2000 cas. Seulement, le piteux niveau de vie – il y a des familles qui dépensent moins d’un dollar par jour selon la Banque mondiale- va pousser les pouvoirs publics à autoriser le déconfinement, et l’intensification des gestes barrières. La famine fait plus peur que le corona virus. « Il va de soi que ces assouplissements ne nous dispensent pas d’observer les « gestes barrières » visant à limiter la propagation de la pandémie, et en particulier le port du masque dans l’espace public ainsi que l’interdiction des rassemblements », indique le chef de l’Etat le 19 mai 2020. « Je demande donc aux Camerounaises et aux Camerounais de faire confiance aux pouvoirs publics. Le Gouvernement est pleinement conscient de la gravité de la situation », reconnaît le numéro un camerounais. Les bars et écoles sont tout de même ouverts.
Roger Powell Messasa