Le think thank 1P155 dégage le visage des batailles économiques qui surgiront ou se conforteront après la pandémie du covid-19.
L’analyse est faite par Dr Maurice Simo Djom, économiste, auteur d’un récent ouvrage sur la Guerre économique pour aider les amis des questions économiques à mieux cerner le visage du monde économique qui se pointera après la pandémie du covid-19. Cinq grandes facettes :
1- Les USA enregistreront un quatrième décrochage
Tout a commencé avec le décrochage industriel : aux USA, le « choc chinois » (expression popularisée par David Autor, David Dorn et Gordon Hanson) a occasionné une baisse de 30% d’emplois manufacturiers de 2000 à 2009 ! Puis le décrochage industriel a engendré non seulement le déclassement commercial, mais surtout le décrochage démographique : alors qu’elle avait crû de 69,9 à 78,9 ans entre 1959 et 2014, l’espérance de vie à la naissance est en chute libre depuis 2014 ! Les morts par overdose dans les Etats les plus désindustrialisés contribuent au tiers de cette sombre performance ! Le décrochage technologique a été mis à jour récemment. On a appris que les équipementiers américains ne sont pas à la pointe de la 5G alors qu’en face, Huawei totalise 80.000 chercheurs, carbure à un budget de 15 milliards dollars et déclare pas moins de 3325 familles de brevets 5G ! Au même moment, les américains Qualcomm et Intel réunis n’en déclarent que 2264. Soit dit en passant, ZTE, un autre équipementier chinois affiche 2204 brevets déclarés. Ce qui fait des Chinois les premiers dans la course à la 5G devant les Sud-Coréens : Samsung et LG totalisent 5309 familles de brevets. (Données de décembre 2019).
Avec le corochoc, nous assistons au décrochage géopolitique : la politique étrangère américaine était gouvernée par la doctrine Wolfowitz depuis les années 90. Cette boussole commandait que Washington assure son progrès de façon efficiente tout en réfrénant le progrès des puissances concurrentes. C’est dans ce sillage que s’est inscrit l’interventionnisme américain des trois dernières décennies. La première puissance du monde visait, par cet activisme sur la scène mondiale, à contrôler et maîtriser l’évolution de la concurrence.
Donald Trump y a substitué la doctrine éponyme. La doctrine Trump se préoccupe plus d’autosuffisance que de leadership mondial. Sa méthode principale est le protectionnisme plutôt que le multilatéralisme. Son creuset est le commerce équitable plutôt que le libre-échange.
Selon les premières apparences, la doctrine Trump engrangeait du succès. Embourbés dans de multiples fronts de guerre commerciale, déjà accusés d’utiliser le dollar comme une arme de répression massive, les Etats-Unis en ont perdu le sens du multilatéralisme et du leadership. On a ainsi vu Xi Jinping appeler Trump pour lui demander de se joindre à lui pour une corocroisade mondiale. Bien avant de devenir le plus grand épicentre de la pandémie, les Etats-Unis se sont contentés de regarder l’Italie et l’Espagne enterrer leurs morts quand les médecins cubains, des soldats russes et d’autres délégations officielles chinoises s’activaient dans les rues de Milan ou de Madrid. Une fois touchés par la pandémie, les Etats-Unis ont revécu le spectacle de Katrina : délaissé, victime du capitalisme radical, le système de santé plie le genou devant la catastrophe. On se rend finalement compte que le pays n’assume ni le repli (America First) ni le leadership (The Number one.
Certes la Chine n’a pas encore déclassé les USA en tant que leader reconnu du monde, mais ce qui s’est passé aura des répercussions non seulement dans la croyance en la capacité des Etats-Unis à se projeter dans l’avenir, mais aussi dans la perception de leur place sur la scène mondiale. Ils manqueront de plus en plus de crédit en tant que puissance protectrice. Du coup se multiplieront des réquisitions contre le dollar ; elles n’auront d’égal que la prolifération des plaidoyers pour des instruments de réserve mondiale indépendants tels que l’or ou les Droits de tirage spéciaux. Bref le discours de la dédollarisation s’intensifiera. Dans les années à venir, nous verrons la menace du piège de Thucydide planer sur Washington.
2– L’agenda 2025 de la Chine sera mis en difficulté
La déroute de Washington ne profitera pas à une Europe faible et désunie sur tous les sujets. Par contre, la substitution de la doctrine Trump à la doctrine Wolfowitz aurait pu ouvrir un boulevard d’opportunités à l’empire du Milieu. Mais l’empire n’en profitera pas non plus. La philosophie du père fondateur de la Chine post-maoïste, Deng Xiaopin, était résumée dans cet aphorisme : « Cachons nos forces et attendons notre heure. » En 2018, Xi Jinping a proclamé que l’heure de la Chine est arrivée. D’ores et déjà, le document stratégique «Made in China 2025» indique les couleurs.
Le ralentissement économique en cours et la guerre commerciale avec Washington promenaient le doute sur la capacité de la Chine à atteindre cet objectif sans que le corochoc ne s’y mêle. Par tradition introvertie et prudente, la Chine avait entamé un processus d’apprentissage de la diplomatie de puissance dont une partie relève du soft power. Les accusations de manque de transparence dans la gestion de la corocrise et la fébrilité manifestée face à ces accusations montrent que la Chine a de la peine à se faire aimer. A titre d’illustration, l’Allemagne a adressé à Pékin une facture de 149 milliards d’euros pour «dommages du coronavirus». De telles pressions prouvent que des performances commerciales, industrielles et technologiques ne suffisent pas pour dominer le monde.
La fébrilité de la Chine est à mettre sur le compte de sa frustration. Sa supposée maîtrise de l’épidémie en début d’année n’avait d’égal que les atermoiements des USA et de l’UE. Elle a aussi surfait son rôle de fournisseur mondial de masques et d’expertise sanitaire. La multiplication des accusations qui la ciblent de plus en plus nuisent à la réputation qu’elle aurait voulu se forger en tant que leader d’un monde en quête de santé.
3-La guerre économique s’intensifiera
Donc, le corochoc s’inscrit dans un moment de douloureuse transition au sommet de la hiérarchie mondiale. La guerre économique que se livrent la Chine et les USA prendra des tournures plus complexes avec les accusations mutuelles que se jettent les deux premières puissances. La guerre de leadership s’intensifiera, avec son lot de sanctions, d’escalades verbales et de chantages. D’ores et déjà, les faucons durcissent le ton.
D’autres fronts de guerre verront le jour, notamment Chine/UE. C’est en prélude à cela que Bruxelles demande aux gouvernements d’intégrer le tour de table de leurs fleurons pour éviter qu’elles tombent dans l’escarcelle chinoise. Les négociations dans le cadre du projet de la route de la soie seront perturbées. De façon générale, la crise sanitaire engendrera la crise économique et la récession, ce qui nourrira des comportements de crispation tels que les protectionnismes, les relocalisations ou encore les nationalisations.
4– La création monétaire sera montrée du doigt
La création monétaire issue de la suppression unilatérale de l’étalon de change or en 1971 montre ses limites de crise en crise. Passé la pression de l’urgence qui justifie et passe sous silence les nombreuses politiques d’assouplissement quantitatif, les débats seront très virulents sur le système financier actuel, basé sur la création monétaire ex-nihilo. Des discours au vitriol seront prononcés au sujet de la monnaie papier. Des appels au retour à l’étalon or et/ou à l’étalon de change or se multiplieront.
Les Banques centrales les ignoreront et prolongeront l’impasse. Au lieu de renoncer au système de création monétaire, les gouvernements préféreront activer le levier des pressions fiscales pour tenter en vain de nettoyer le bilan des actuelles opérations d’assouplissement quantitatif. Ce qui créera plus de tensions et de stress dans les ménages et les entreprises. Ces tensions seront-elles refoulées plutôt qu’exprimées dans des mouvements de rue ? Nous y répondons dans le point suivant.
Toujours est-il que le corochoc dessine les limites de l’économie ultralibérale en vigueur et dont le moteur est la dette. A preuve, le choc a été moins douloureux dans des pays qui n’appliquent pas l’ultralibéralisme pur et qui investissent mieux dans la santé. Aux Etats-Unis d’Amérique où se soigner coûte les yeux de la tête, le plus gros des morts se recrutent dans les rangs des populations démunies rongées par d’anciennes maladies mal ou non soignées.
5-La discipline rivalisera avec la liberté en tant que valeur biopolitique
La biopolitique théorisée par Foucault connaîtra un regain avec le corochoc. Les pays seront confrontés au dilemme du déconfinement : faire repartir l’économie pourrait engendrer de nouvelles vagues de contamination. Pour résoudre ce dilemme, il faudra appliquer la règle des trois T (Tracer, tester, traiter). Ce qui est une aubaine pour les oligarchies occidentales. La tentation sera forte d’utiliser ce triptyque pour mettre de l’ordre dans des sociétés en proie ces deux dernières décennies à la montée croissante des populismes.
Le corochoc a assigné des milliards de personnes à résidence surveillée, les media se sont chargés de bombarder leurs cerveaux d’images et de messages anxiogènes. Les oligarchies font le pari que ces citoyens auront désormais de la peine à s’assumer comme des sujets de droit. Qu’il soit prémédité ou accidentel, le corochoc s’est révélé une nécessité en permettant à l’oligarchie détentrice du pouvoir médiatique de tenter de formater le cerveau des populistes en les matraquant de messages qui inhibent leurs capacités de contestation politique. Pendant les années à venir, le virus sera utilisé comme un prétexte pour réprimer les manifestations intempestives et parfois violentes qui étaient devenues un caillou dans le pied des oligarchies.
Les oligarchies feront des paris fous : qu’en l’occurrence les gilets jaunes, peu importe la fin du confinement, devront réfléchir par deux fois avant de descendre dans la rue. S’ils s’entêtent, ils essuieront les affres de la sur-régulation de l’espace public, laquelle sur-régulation encadrera avec une forte vigueur les demandes de souveraineté populaire et bloqueront le passage à la troisième étape de la démocratie, principale demande des gilets jaunes non seulement, mais aussi des manifestants de la Puerta del Sol, de Nuit debout, d’Occupy Wall Street…
Outre le combat du populisme, le corochoc permettra de remettre au goût jour un vieux dogme : le vaccin-solution-miracle. Effectivement, des vaccins seront mis au point. Mais le doute persistera sur les orientations bioéthiques de l’obsession du vaccin. Le traitement préventif sera massif et obligatoire et il faudra présenter la preuve du vaccin anti-Covid-19 pour obtenir un visa d’entrée entre autres. La psychose coroniale a préparé le terrain pour que la biotechnologie accélère le vieux projet de contrôle des corps. Dans la foulée, le traçage s’octroiera une légitimité forte en termes de preuve de bonne santé. La nanotechnologie embarquée dans les corps permettra d’aller plus loin, en parvenant dans les années à venir au contrôle à distance des émotions de l’homme. La chose ne sera pas aisée mais nous ne sommes qu’au début d’un long processus. Dans certaines parties du monde telles que l’Afrique, l’on percevra ces expérimentations comme une forme dissimulée de régulation démographique plutôt qu’une opération de discipline/contrôle des corps.
La prochaine analyse du Dr Maurice Simo Djom portera sur L’Afrique postcoroniale.