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Sylvestre Magloire Tamo* : « les accords de partenariat économique avec l’Union européenne sont censés être des outils de développement mutuel, mais en réalité ils sont un marché de dupes »

by EDC
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Depuis leur mise en place, les Accords de Partenariat Économique (APE) en août 2016 entre le Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale (CEMAC) et l’Union européenne (UE), cette coopération suscite des débats houleux. Présentés comme des leviers pour booster le développement économique de la sous-région, ces accords sont perçus par certains comme des instruments d’asservissement économique, creusant davantage l’écart entre les deux partenaires.

 Dans cette interview exclusive, Sylvestre Magloire Tamo, promoteur de la Wisdom Academy et expert reconnu des questions économiques, expose son analyse des APE. Sont-ils réellement bénéfiques pour notre bloc économique ou sont-ils, au contraire, un marché de dupes qui freine le développement de la Communauté ? L’invité ne mâche pas ses mots et propose des pistes pour transformer ces accords en véritables outils de croissance et de souveraineté économique des six Etats de la CEMAC.

Economie du Cameroun : En tant que promoteur de la Wisdom Academy et expert des questions économiques, vous avez récemment critiqué les Accords de Partenariat Économique (APE) entre la CEMAC  et l’UE. Comment percevez-vous ces accords dans leur forme actuelle ?

Sylvestre Magloire Tamo : Les APE sont censés être des outils de développement mutuel, mais en réalité, ils penchent davantage vers un marché de dupes qu’un véritable partenariat gagnant-gagnant. Par exemple, malgré les promesses de développement, les exportations CEMAC restent dominées par des matières premières brutes, comme le cacao, le café ou le pétrole, tandis que l’UE inonde les marchés africains avec des produits manufacturés, souvent subventionnés. Cette asymétrie perpétue une dépendance qui freine l’industrialisation de l’Afrique.

Parlez-nous de cette asymétrie que vous mentionnez. Pourquoi est-elle problématique pour les économies africaines ?

La structure des échanges entre l’Afrique et l’Europe est largement inégale de manière globale. Prenons l’exemple du Nigeria, l’un des plus grands exportateurs de pétrole vers l’Europe. Ce pays exporte du pétrole brut et importe des produits pétroliers raffinés à des coûts bien plus élevés. C’est vrai que la raffinerie Dangote est déjà fonctionnelle mais fait face à la mafia du secteur pétrolier et donc, le marché nigérian connaît des difficultés. Cela montre à quel point l’Afrique reste un fournisseur de matières premières sans véritable valeur ajoutée, ce qui freine la création d’emplois et le développement durable. En parallèle, les industries locales africaines sont incapables de concurrencer les produits européens, souvent moins chers et de meilleure qualité, ce qui conduit à la fermeture de nombreuses entreprises locales.

Pourtant, certains experts affirment que les APE peuvent stimuler la croissance économique en Afrique. Quelles sont, selon vous, les conditions nécessaires pour que ces accords deviennent véritablement bénéfiques pour le continent ?

Pour que les APE soient vraiment bénéfiques, ils doivent être révisés pour mieux répondre aux besoins des pays africains et par extension, à la CEMAC. Par exemple il est essentiel de permettre aux pays africains de protéger leurs industries naissantes. Un bon exemple est celui de l’industrie textile en Afrique de l’Ouest. Avant l’arrivée massive de vêtements européens, cette industrie prospérait, mais aujourd’hui, elle est en déclin à cause de la concurrence déloyale. L’UE devrait également fournir un soutien technique et financier pour renforcer les capacités locales. Cela inclut des programmes pour développer des chaînes de valeur locales, comme ce qui se fait en Éthiopie dans le secteur agroalimentaire, où l’on commence à transformer localement des produits agricoles avant exportation.

La libéralisation des marchés africains fait partie intégrante des APE. Quelle est votre position sur ce point ?

La libéralisation rapide des marchés est une épée à double tranchant. Sans les protections adéquates, les industries locales peuvent être décimées par les produits européens. Prenons l’exemple du secteur avicole au Ghana, qui a été gravement affecté par l’importation massive de poulets congelés d’Europe. Les producteurs locaux ne pouvaient pas rivaliser avec les prix bas des importations, ce qui a conduit à la fermeture de nombreuses fermes. C’est pourquoi il est crucial que les gouvernements africains aient la flexibilité nécessaire pour protéger et développer leurs industries stratégiques avant d’ouvrir entièrement leurs marchés.

 Quel rôle l’Afrique peut-elle jouer pour rééquilibrer les négociations avec l’Europe et garantir un partenariat plus équitable ?

 L’Afrique doit renforcer sa position de négociation en agissant de manière plus unie et stratégique. Les pays africains devraient renforcer leur coopération régionale pour diversifier leurs partenaires commerciaux et réduire leur dépendance vis-à-vis de l’Europe. Par exemple, en renforçant les échanges intra-africains à travers la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), l’Afrique pourrait développer des chaînes de valeur régionales et réduire sa dépendance aux exportations vers l’Europe. En outre, investir dans l’industrialisation, comme le fait le Rwanda dans la fabrication locale de smartphones, peut aider à réduire les importations de produits européens et à créer des emplois localement.

Que recommandez-vous pour l’avenir des relations économiques entre la CEMAC et l’UE, entre  l’Afrique et l’UE ?

 Je recommande une révision en profondeur des APE pour les adapter aux réalités économiques de l’Afrique. Un partenariat économique authentique doit reposer sur l’équité, la réciprocité et le respect des intérêts mutuels. L’Europe doit reconnaître et soutenir l’industrialisation de l’Afrique, tandis que l’Afrique doit être proactive dans la défense de ses intérêts en créant des politiques commerciales qui favorisent son développement à long terme.

Propos recueillis par Aloys Onana

*Sylvestre Magloire Tamo, promoteur de la Wisdom Academy et expert des questions économiques

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